Chroniques

par hervé koenig

Arne Deforce – Jonathan Harvey
Limen – Riti – Curve with plateau – Advaya

1 CD Megadisc (2004)
MDC 7806
Deforce – Harvey | pièces pour violoncelle

C’est dans « un bref accès de spontanéité » que Jonathan Harvey a composé Curve with plateau, en 1982. Cette pièce se veut le reflet des différents niveaux de la personnalité humaine, à savoir le physique/musculaire, l'émotionnel, la pensée, et enfin la transcendance spirituelle, qui s'approche du silence. Comme le remarque son auteur, « on entend que le dernier élément à apparaître et disparaître est le physique, vibrant dans l'extinction d'une vie humaine héroïque ». Arne Deforce en livre ici une version soignée, différentiant minutieusement l'identité de chaque motif, des souvenirs extrême-orientaux à ses inscriptions dans un héritage culturel plus proche de nous ; un certain lyrisme n'est pas absent d'une lecture concentrée dont l'excellente prise de son de Yannick Willox, pour le label belge Megadisc, rend parfaitement compte.

Commande de l'Ircam, fruit de recherches beaucoup plus longues que l'œuvre précédente, Advaya date de 1994. Ce terme bouddhiste désigne la non-dualité et s'inspire de concepts évoquant le vide formel tantrique – rappelons brièvement que le tantrisme est un courant ésotérique du bouddhisme tardif apparu en Inde, influencé par l'hindouisme, qui considère que l'Éveil peut être atteint par des pratiques magiques ou sexuelles ésotériques et cherche à établir un lien continu entre tous les états et actes de l'humanité. Pour symboliser l'unité au cœur de cette doctrine, les tons extérieurs d’Advaya sont ramenés inlassablement vers le la central.

Avec Cort Lippe comme assistant, Harvey a souhaité réfléchir à une nouvelle grammaire spectrale, à un classement simple et expressif des transformations des séries harmoniques. Il résume ainsi son travail : « Si l'on ajoute le même nombre de cycle par seconde à CHAQUE partiel, une transposition s'ensuit, qui à certains points redouble la série harmonique originale mais sans la fondamentale de la deuxième, troisième, quatrième, etc. harmonique. Entre ces points de repos recherchés s'insèrent tous les autres points où surviennent diverses distorsions de la dissonance ordonnée, également appelées rugosité ». Ici, le violoncelliste utilise un contrôleur et système de pédales MIDI (création de Jean-Marc Sullon) qui lui permet de déterminer précisément la durée des traitements sonores. On écoutera cet enregistrement lumineux avec grand intérêt.

Né à Ostende en 1962, Arne Deforce a fait ses études de violoncelle et de musique de chambre aux conservatoires de Gand et de Bruxelles. Membre de l'ensemble Champ d'Action, de 1993 à 2000, il se consacre aujourd'hui au répertoire solo et à la musique de chambre (Scelsi, Xenakis, Ferneyhough, Rihm, etc.), avec une prédilection pour les œuvres difficiles – en projet, les œuvres complètes pour violoncelle et piano de Morton Feldman. Enseignant au Conservatoire de Bruges, il prépare actuellement une thèse de doctorat sur la Nouvelle Complexité, à l'Université de Leiden et à l'Institut Orpheus de Gand.

« Improvisations composées », selon les propres termes d’Arne Deforce, Limen et Riti sont nés d'une nuit d'orage, au cœur des montagnes d'Auvergne, le 6 novembre 2000. « Il s'agit de deux compositions intuitives, dotés d'une structure préconçue de manière fortement idiomatique et basés sur le contact direct avec le violoncelle ». Inspirée des traditions vocales rituelles de l'Orient (psalmodies japonaises et tibétaines), Riti résulte d'une recherche sur les pulsations fortes, sur les continuums de sons variés axés sur les notes les plus basses de l'instrument. Pas de traitement électronique ici, mais une adaptation intéressante : les quatre cordes vocales du violoncelle sont remplacées par une corde sol et trois cordes do, toutes accordées sur une scordatura microtonale. On ne s'étonnera pas que l'œuvre soit dédiée à la mémoire de Giacinto Scelsi. Limen découle de l'intérêt de Deforce pour le spectre des sons harmoniques. Le titre de l'œuvre, inspiré par un mot latin qui évoque un chemin entre deux champs, annonce cette exploration de la transition entre différents sons, ce « jeu d'alternance constante entre les limites intérieures et extérieures du jeu du violoncelle ».

HK