Chroniques

par laurent bergnach

archives Pierre Boulez
Debussy, Schönberg et Stravinsky

1 DVD Medici arts (2008)
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images d'archives de Pierre Boulez en concert (1966 / 1997)

Présentées par ordre chronologique, ces images de concert gardent une des nombreuses traces du travail de Pierre Boulez, du milieu des années soixante à la presque fin du siècle. En 1966, pour un programme que la BBC diffuserait deux ans plus tard, le chef français enregistre Debussy : Nocturnes (1897-1899) et Jeux (créé par les Ballets russes le 15 mai1913). Seul le cœur de la première, Fêtes, est offert ici, dans la très grande clarté du New Philharmonia Orchestra. La lecture y est vive autant que vigoureuse, entraînée par une gestuelle plus démonstrative que celle de Boulez aujourd'hui. Dans la commande de Diaghilev – « homme terrible et charmant qui ferait danser les pierres » – au géniteur de Monsieur Croche, l'attention portée au détail fait perdre, parfois, le mouvement d'ensemble, mais permet de construire une très belle texture sur le début et le final de l'œuvre. En le voyant au pupitre avec ses lunettes noires, les détracteurs de Boulez imagineront certainement un quelconque caprice de star, à des lieues de la réalité : celui qui dirigeait Parsifal à Bayreuth cette année-là souffrait alors d'un zona facial qui le rendait extrêmement sensible à la puissante lumière d'une salle de concert.

En 1971 et jusqu'en 1977, succédant à Leonard Bernstein, Pierre Boulez prend la direction du New York Philharmonic. Parallèlement, il est nommé chef permanent du BBC Symphony Orchestra à Londres, fonction qu'il assume de 1971 à 1975. À la tête de ce dernier, le 4 août 1974, c'est visiblement détendu qu'il donne Images (achevées pour l'orchestre en 1912, cinq ans après celles pour piano). La maturité d'un chef apparaît dans toute sa splendeur, la souplesse accompagnant désormais une technique infaillible.

Un mois plus tard, à l'occasion du centenaire de la naissance de Schönberg, paraît un article dans la presse allemande. Boulez confie son sentiment sur un personnage tendu entre le conservatisme et l'aventure : « J'ai appris à découvrir les labyrinthe de Berg, ayant surmonté l'obstacle sentimental qui m'en séparait. J'ai appris le détachement quant à la trop évidente lumière de Webern, en dépit de la ferveur du propos. Mais pour Schoenberg, je ne demeure séduit que par une période relativement brève, mais capitale. » Sa vision de Begleitungsmusik zu einer Lichtspielszene Op.34 – courte pièce composée « comme s'il s'agissait d'une musique de film », créée à Berlin en novembre 1930, et que les orchestres d'aujourd'hui pourraient jouer plus souvent… – s'avère très leste et ciselée, avec des aspérités qui percent par-delà une souplesse évoquée tantôt.

Des années après la création de l'Ircam et de l'Ensemble Intercontemporain, Boulez reste fidèle à la formation britannique des années d'exil. Le 31 janvier 1997, c'est au tour du Sacre du Printemps d'être immortalisé par la télévision, ce rite de la Russie païenne présenté aux Parisiens en mai 1913, « électrochoc appliqué sans ménagement à des organismes sclérosés » – comme le résume le musicien français, au moment de l'enregistrer pour CBS. L'œuvre est abordée avec une tendresse pleine de danger avant de livrer toute son énergie, dans une grande subtilité de contrastes. Qu'elle soit filmée avec talent rappelle combien les vents dominent la partition.

LB