Chroniques

par pierre-jean tribot

archives George Szell
Beethoven – Bruckner

2 CD Andante (2005)
AN 2180
archives George Szell | Beethoven – Bruckner

Légende de la direction d'orchestre, le chef hongrois George Szell hissa au sommet des formations symphoniques mondiales le Cleveland Orchestra. D'une exigence redoutable, il se plaisait à répondre aux journalistes qui l'interrogeaient sur les raisons de l'excellence de son orchestre qu'il commençait à travailler là où ses collègues s'arrêtaient. Fréquemment invité au Festival de Salzbourg, il y dirigea les créations de Pénélope et L'École des femmes de Rolf Liebermann et de la Légende irlandaise de Werner Egk, ainsi que des productions mythiques de L'Enlèvement au sérail et de La Flûte enchantée. En marge de ces activités lyriques, le maestro conduisit aussi des concerts symphoniques à la tête de nombreux orchestres, du Philharmonique de Vienne au Cleveland Orchestra en passant même par l'Orchestre de l'ORTF. Le label Andante, dans le cadre d'une nouvelle collection d'enregistrements, propose les deux concerts qu'il donna au pupitre d'un des plus fidèles invités de la manifestation autrichienne, la Staatskapelle de Dresde.

Curieusement, ce grand serviteur de la musique de son temps ne proposa sur les rives de la Salzach que des programmes dédiés aux classiques du répertoire germanique. Le premier concert, donné le 6 août 1961 au Grosses Festspielhaus, est intégralement consacré à Beethoven. L'ouverture de Coriolan, le Concerto n°5 « L'Empereur » et la Symphonie n°5 sont emportés avec la même énergie par le chef hongrois. Tendue à souhait et implacable, ce Coriolan est l'une des meilleures interprétations disponibles. Auteur de deux intégrales des concerti pour piano – avec Leon Fleisher (Sony), puis avec Emil Gilels (EMI) – et de nombreux concerts dont un légendaire avec un Friedrich Gulda impérial (Andante), le musicien retrouve Nikita Magaloff, l'année de ses débuts à Salzburg. On reste impressionné par la maîtrise et l'entente entre les musiciens, mais dans l'absolu, cette interprétation de premier plan doit s'effacer devant lelive avec Gulda. En matière de Symphonie n°5, le mélomane peut compter sur deux interprétations magistrales de Szell qui s'inscrivent aux sommets de la discographie : l'enregistrement studio avec l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam (Philips), et surtout sur lelive halluciné avec la Philharmonie de Vienne, dans le cadre de ce même Festival de Salzbourg, mais en 1969 (Orfeo). Ces deux disques sont servis par une prise de son de grande qualité. Dans une bonne mono, mais un peu avare en profondeur, le maestro prend la partition à bras-le-corps et offre une interprétation enflammée, d'une rigueur de construction et d'une progression implacable. Aussi excellent qu'il soit, ce concert doit s'incliner devant les deux albums mentionnés ci-avant.

Du second concert, donné le 2 août 1965, Andante ne retient qu'une grandiose interprétation de l'ouverture d'Egmont, et surtout la Symphonie n°3 de Bruckner. Peu connu pour ses interprétations de Bruckner dont il grava les symphonies n°3, n°7 et n°8, Szell ne s'est jamais imposé au panthéon des serviteurs du maître de Saint Florian. Avec des tempi rapides, une grande importance accordée à l'équilibre entre les lignes et de forts contrastes, ces exécutions manquent du petit plus qui font les légendes brucknériennes. Déjà publié par Sony Classical, ce live mérite une attention particulière pour la conduite toute en finesse et subtilité du difficile Adagio qui n'aura jamais sonné avec autant d'évidence, alors que la vision lapidaire du chef rend bien les différentes facettes du Ziemlich Schnell-Trio et de l'Allegro final. À la différence de l'assez glacial enregistrement officiel avec le Cleveland Orchestra (Sony), Szell peut ici s'appuyer sur la richesse des timbres d'une phalange de haute tradition brucknérienne.

PJT