Chroniques

par michel slama

archives Beniamino Gigli
enregistrements 1938-1940 (vol.10)

1 CD Naxos Historical (2005)
8.110271
archives Beniamino Gigli | enregistrements 1938-1940 (vol.10)

Composé de divers extraits déjà disponibles sous étiquette EMI (The Complete HMV recordings), ce dixième volume de l'édition intégrale Gigli nous est toujours proposé par l'éditeur Naxos qui a composé cette compilation de la façon la plus exhaustive possible, en complétant chronologiquement les différentes arias par des inédits. Il s'agit, bien évidemment d'œuvres gravées depuis plus d'un demi-siècle maintenant et donc tombées dans le domaine public.

Beniamino Gigli (1890-1957) est ici à la maturité de son immense carrière vocale. Ces enregistrements effectués à Londres et à Milan entre 1938 et 1940 nous le restituent, quinquagénaire, mais en pleine possession de ses moyens, sans aspérités, ni vibrato. Sa ligne de chant est parfaitement maîtrisée et n'est jamais mise en péril. De plus, le grand ténor italien savait exactement ce qui convenait à sa voix et usait à l'envi de son charisme vocal exceptionnel. Grâce à une technique et une intelligence de sa voix hors du commun, il put ainsi rivaliser avec les plus grands jusqu'en 1954. En témoigne cet incroyable air du Trouvère enregistré à 50 ans passés et qu'il chante à la perfection, avec toutes les notes – ses moyens de ténor lyrique lui permettant d'interpréter ce « Di quella pira » sans le hurler et avec toujours cette intelligibilité du texte et cette sensibilité qui le rendent indémodable. Prudent Gigli qui aura attendu 1940 pour aborder à Rome ce rôle meurtrier entre tous, à la fin de sa carrière…

La Seconde Guerre mondiale a vu le ténor enregistrer à Londres, ainsi qu'à Milan où il se trouvait en résidence forcée, en 1940. Parmi l'ensemble des trésors réunis par Naxos, on trouve en majorité des chansons napolitaines ou des airs à la mode. L'immortel compositeur fécond de canzone Cesare Andrea Bixio est particulièrement bien servi avec quatre mélodies dont l'inépuisable Mamma que tous les successeurs se sont empressés de reprendre, Pavarotti, en tête… On y trouve aussi des lieder de Schubert et Brahms, fort peu idiomatiques, Amarilli de Caccini et surtout quelques airs et duos d'opéra tirés de Don Giovanni, Traviata, Puccini et Pietri, dont l'opéra oublié Maristella, composé pour le ténor, fut un immense succès en avril 1940. Pour les Verdi qu'on se doit d'écouter en priorité, il est accompagné d'autres légendes de l'époque : Maria Caniglia (Traviata) et Cloe Elmo (Trovatore).

Pour chaque extrait, opéra ou mélodie, le grand ténor sait camper un personnage théâtralement différent et faire évoluer sa voix vers les cimes lyriques ou la simple variété. Nous tenons, déjà, avant l'heure un champion du cross-over. Bien sûr, le lecteur se doit d'être prévenu du caractère gentiment désuet et démodé qu'on trouvera ici pour toutes ses interprétations, telles qu'on les aimait à l'époque. Ces portamenti de voix accompagnés de glissandos difficilement supportables pour l'auditeur d'aujourd'hui, ces notes de bravoure tenues à l'excès, ces sanglots un peu ridicules qui plaisaient tant à l'époque nous apparaissent, en effet, hors de propos de nos jours. Mais qu'importe, il suffit d'accepter ces convenances venues d'un autre âge pour succomber au plaisir de cette voix solaire, à la beauté d'un timbre unique et particulièrement sensible pour communiquer instinctivement avec un public passionné. L'héritier incontesté du grand Caruso peut dormir tranquille, son public idolâtre ne l'oubliera jamais.

Cette nouvelle compilation généreuse (77'29'') propose à l'audiophile surpris un son clair, remastérisé et presque exempt de bruits de fond. On ne peut croire que ces prises de son aient plus de soixante ans, tant leur rendu est exceptionnel. Un témoignage de l'art du chant à (re)découvrir.

MS