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Chroniques
Anton Rubinstein
Six études Op.81 – Trois morceaux Op.71 – Cinq morceaux Op.69
On connaît mal aujourd'hui Anton Rubinstein qui en son temps fut un pianiste virtuose de réputation internationale, et un compositeur déjà alors peu compris, ou en tout cas victime d'une appréciation malveillante de ses contemporains. Né en Podolie ukrainienne en 1829, il commença par donner des concerts que la critique estimait remarquables, en Russie autant que dans les métropoles européennes, alors qu'il n'était encore qu'un petit garçon. Il apprendra la composition à Berlin, et de là vient le malentendu qui donna naissance à un gros et bête préjugé. En effet, on lui reprocha régulièrement d'écrire une musique trop allemande, en tout cas non russe, lui qui allait pourtant donner des clés inestimables à son élève Tchaïkovski (mais ce dernier n'allait-il pas, lui aussi, subir cette accusation sans discernement ?), et surtout inventer de rien l'éducation musicale dans son pays qui avant lui ne possédait pas d'institution d'enseignement musical. Il sera le père des conservatoires de Saint-Pétersbourg en 1862 et de Moscou quelques années plus tard. Certes, on reconnaîtra l'influence de la musique de Beethoven dans l'œuvre de Rubinstein, mais également celle de l'improvisation et d'un certain cabotinage qui fut dans les mêmes années celui de Ferenc Liszt, et un peu plus tard de Ferruccio Busoni.
Si l'on se souvient guère de ses six symphonies, d'une bonne centaine de mélodies russes qu'il composa tout au long de sa vie, d'une quinzaine d'opéras, c'est un seul d'entre eux qui reste à ce jour directement associé à son auteur, comme s'il n'avait rien écrit d'autre, Le Démon, créé en 1875 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg. Nous avons pu en voir la version présentée au Théâtre du Châtelet, cet hiver [lire notre chronique du 27 janvier 2003].
Comme l'expose très précisément Fabio Grasso – qui signe ici un fort beau disque – dans la préface à son enregistrement, en faisant preuve d'une connaissance érudite que seul un passionné aura collectée, Rubinstein composa beaucoup pour le piano, qu'il s'agisse de pièces courtes comme celles qu'il nous y fait écouter, ou de cinq grand concertos romantiques pour piano et orchestre qui eurent leur heure de gloire.
On sent dans les œuvres choisies pour ce disque les influences de Chopin, par exemple dans la Deuxième étude de l'opus 81 dont on pourrait dire que le thème aurait pu être inventé par ce dernier et développé par Liszt. Nous ne sommes pas loin de certains traits des Harmonies Poétiques et Religieuses. Cependant, n'y a-t-il pas là déjà un petit quelque chose qui annoncerait le Rachmaninov des pièces de jeunesse ? Chopin est présent bien sûr dans la Mazurka Op.71, mais aussi Tchaïkovski. On est étonné d'entendre également, dans le Scherzo Op.69, une façon d'accompagner le chant qu'on jurerait empruntée à Schubert. Attention, je ne suis pas du tout en train d'insinuer que Rubinstein leur faisait les poches ! Non, simplement que voilà un homme bien dans la mouvance esthétique de son époque, non sans un certain brio.
Le disque que propose Solstice est véritablement une découverte, fort bien servie par une interprétation précise, sensible, nuancée, et intelligente. On est surpris, à entendre une telle qualité de son des aigus divinement perlés (sur la Toccata Op.69 notamment), de lire au revers du boîtier que Fabio Grasso y joue un Steinway. C'est dire à la fois la qualité de son toucher et celle du réglage de l'instrument (par Gilbert Lauer) qui, au final, ressemble à bien plus qu'un Steinway. Bénéficiant d'une prise de son d'une belle clarté, ce disque fera plaisir aux amateurs de beau piano. Pour ma part, au risque d'en paraître enthousiaste, j'ajouterai qu'il s'agit d'une des plus importantes parutions de ce printemps.
BB