Chroniques

par anne bluet

anthologie Stabat Mater du XXe siècle
Penderecki – Poulenc – Rihm – Szymanowski

1 CD Hänssler / Profil (2004)
PH 04035
anthologie Stabat Mater | Penderecki – Poulenc – Rihm – Szymanowsk

L'édition Hänssler propose une visite des Stabat Mater du XXe siècle. Si le fameux texte de Jacopone da Todi – de son vrai nom Jacob de Benedictis –, juriste italien entré dans l'ordre des franciscains à la mort de sa femme, inspira les musiciens de son temps, dont les illustres Pergolesi, Scarlatti, Vivaldi, la carrière de ce récit de la déploration de la mort du Christ par sa propre mère s'est poursuivit sans interruption, avec le Stabat Mater de Dvořák au XIXe, par exemple, et jusqu'à nos jours avec celui de Rihm, inclus dans son Deus Passion écrit à l'occasion du Projet Bach 2000, et dont on peut donc dire qu'il est déjà de notre siècle.

Le Stabat Mater de Francis Poulenc débute le programme d'un concert capté à Saint Gabriel de Munich le 17 mars 2000. La mort de plusieurs amis du compositeur, dont celle de Christian Bérard en 1950, contribuèrent à l'expression du sentiment religieux dans une musique jusque-là teintée de fantaisie et d'ironie. « À l'origine, écrit Poulenc, j'ai voulu un Requiem, mais j'ai fini par trouver cette idée trop grandiose ». La première eu lieu au Festival de Strasbourg, sous la direction de Fritz Münch, le 13 juin 1951, la partie de soprano solo étant alors tenue par Geneviève Moizan. Ici, nous entendons Georgina von Benza, le Chœur et l'Orchestre de la Radio Bavaroise que dirige Marcello Viotti, dans une lecture peu recueillie et assez judicieusement vériste qui pourrait suggérer à la fois que Poulenc composait cette musique religieuse juste après avoir achevé ses irrévérencieuses Mamelles de Tirésias, et qu'il n'hésiterait pas, en sens inverse, à écrire un opéra sur la vie monastique qui fermerait le rideau sur un Salve Regina déchirant. Beaucoup de puissance dramatique, donc, dans cette version passionnante.

Le compositeur polonais Karol Szymanowski écrivit son Stabat Mater en 1925-26 ; il accompagne la démarche de l'auteur vers son propre pays et sa tradition catholique. Alors que l'Europe de l'Ouest a beaucoup souffert du bouleversement de la Première Guerre mondiale, la Pologne est dans l'optimisme de son indépendance récemment retrouvée. Le sentiment d'identité national, après que les événements politiques voisins l'aient exacerbé, trouve refuge dans les valeurs et son passé. Ces circonstances se dessinent dans les accents folkloriques qu'on retrouve dans l'œuvre. Szymanowski se concentre plus sur l'expressivité que sur le rituel : « Interprété en polonais, cet hymne simple et immortel a gagné pour moi en immédiateté, devenant une peinture familière et colorée, en contraste avec la ligne archaïque de l'original ». Il n'empêche que l'interprétation de Viotti, lors du même concert, est chargée d'un mystère troublant.

Avant d'être intégré à sa Passion selon Saint Luc en 1965-66, le Stabat Mater de Krzystof Penderecki représentait trois travaux pour chœurs a cappella. Cette orientation vers la tradition catholique déconcerta plus d'un admirateur de cet autre Polonais, alors étiqueté avant-gardiste. Mais l'œuvre se voulait une affirmation passionnée de sa foi religieuse, d'une espérance en la vie éternelle et de son désarroi face aux souffrances du monde.

Le compositeur Wolfgang Rihm fut l'un des quatre choisis par L'Académie Internationale Bach de Stuttgart pour honorer la commande d'une Passion, afin de célébrer les deux cent cinquante ans de la mort du maître de Leipzig. La base de travail fut l'Évangile de Luc présentant, selon Rihm, le point de vue le plus personnel et le moins teinté de sentiments anti-juif. Le résultat mêle l'héritage traditionnel et narratif du sujet à des formes modernes d'expression musicale. Ce nouveau regard sur la Passion permet un certain degré de distanciation qui tend à une exégèse objective qui invitera à la réflexion. Le Stabat Mater est extrait de cette vaste Passions-Stücke nach Lucas (Hänssler a publié l'intégralité de cette œuvre, enregistrée lors du concert de création).

AB