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Chroniques
André Lischke
Alexandre Borodine
Si les mélomanes français connurent un engouement certain pour la musique russe, il leur manquait une biographie digne de ce nom dans leur langue, celle d'une figure curieuse et non conventionnelle : Alexandre Borodine. Mis à part quelques articles publiés ici et là, et la plupart du temps parfaitement introuvables, ou l'improbable monographie due à Nina Berberova, traduite chez Actes Sud il y a quinze ans, quiconque souhaitait en apprendre sur le compositeur devait se contenter du livret traduit du Prince Igor, son opéra, d'une courte note dans une encyclopédie de la musique, ou lire aisément l'anglais et le russe.
Aux habitués du répertoire russe, le nom d'André Lischke est désormais devenu familier. Après avoir participé au numéro 168 de la revue L'Avant-Scène Opéra consacré au Prince Igor en 1995, puis à la brochure-programme de l'Opéra National du Rhin – fort documentée et pertinente comme c'est l'excellente habitude de cette maison – à l'occasion de la présentation de cette même œuvre il y a deux ans, le musicologue fait paraître aujourd'hui un livre passionnant sur Borodine chez bleu nuit éditeur.
Outre ses origines tatares caucasiennes (le petit Alexandre ne porte pas le nom de son père – Guedianov), qui du reste sauront être déterminantes dans l'œuvre à venir, on y évoque en profondeur le dilemme du musicien dont l'existence est partagée entre une brillante carrière de chimiste, une nécessité de composer, nourrie d'un talent naturel qui fit l'admiration de Liszt (entre autres), et une vie de famille particulièrement éprouvante. L'homme Borodine nous est raconté au fil d'une œuvre que certains commentateurs ont pu trouver maigre, mais dont la qualité est saisissante.
À travers des analyses d'une concision et d'une clarté salutaires, André Lischke nous fait découvrir un catalogue chambriste d'une douzaine d'opus – eh oui, il n'y a pas que les deux quatuors à cordes ! – et quelques mélodies encore rarement chantées, présentés d'une manière passionnante qui invite à l'écoute, voire au déchiffrage. Subtilement replacées dans le contexte russe de la fin du XIXe siècle, à la jauge des divers courants esthétiques d'alors, les deux symphonies de Borodine ne s'entendent plus de la même façon après cette enrichissante lecture.
Prince Igor est bien entendu abordé dans la linéarité de la biographie, tout en bénéficiant d'un exposé plus détaillé en fin de volume (dont il occupe à lui seul un sixième). Bref et efficace sans pouvoir être considéré comme un ouvrage de vulgarisation, ce livre est évidemment un indispensable.
BB