Chroniques

par laurent bergnach

Ambroise Thomas
Hamlet

1 DVD EMI Classics (2004)
DVB 5 99447 9
Ambroise Thomas | Hamlet

« Il y a trois sortes de musique, disait Chabrier : la bonne, la mauvaise et celle de M. Ambroise Thomas. » C'est dire si ce compositeur, né en 1811 et mort en 1896, tient une place particulière dans l'histoire de la musique ! Prix de Rome en 1832, directeur du Conservatoire à la suite d'Auber dès 1871, couvert d'honneurs d'un côté, il est aussi moqué par toute une nouvelle génération qui, dans la seconde partie du XIXe siècle, participe au renouveau de la musique française. Associé à Adam ou à Halévy, on lui a souvent reproché de suivre les goûts changeant du public. Mais à côté des musiques de ballets, des opéras-comiques plus faciles, il faut quand même retenir Mignon (1866), Francesca de Rimini (1882) et Hamlet (1868), qui outre s'inspirer de Goethe ou Dante, révèlent son talent de mélodiste et sa mise en valeur d'une action dramatique.

Ainsi, de la pièce de Shakespeare parue en 1600 ou 1601, le livret de Michel Carré et Jules Barbier retient l'essentiel : les amis Rosencrantz et Guildenstern disparaissent au profit du seul Horatio, tandis que la figure de Polonius, père autoritaire d'Ophélie qui tombera malencontreusement sous le fer d'Hamlet, est ici bien mince. L'intrigue y gagne, exaltant cette conscience de soi (To be or not to be…), ici comme jamais au cœur de la tragédie shakespearienne. En revanche, regrettons cette fin divertissante, destinée à flatter l'auditoire du Second Empire : l'alliance entre le roi Claudius et Laërte n'est plus de circonstance, tout comme la mort de ce dernier, celle de la reine Gertrude… et celle d'Hamlet qui, seulement blessé, peut monter sur le trône. Si cette entorse à la pièce de théâtre ne souleva pas d'indignation notable à la création du 9 mars 1868 (Académie Impériale de Musique de Paris), il en fut tout autrement – comme on l'imagine – à sa reprise londonienne…

Après le temps du rejet et de l'oubli, voici le retour en grâce de cet opéra en cinq actes. En octobre 2003, au Gran Theatre del Liceu, à Barcelone, le public réservait un triomphe à cette production, et à juste titre. Alain Vernhes (Claudius), malgré une voix fatiguée, possède une ligne de chant impeccable. Natalie Dessay (Ophélie) est parfaite, notamment dans la scène de la folie qui nous glace le sang tant on souffre avec elle. Simon Keenlyside (Hamlet), vaillant et nuancé, ajoute à sa belle voix riche en harmoniques une diction parfaite qui achève de nous séduire. Dommage que Béatrice Uria-Monzon (Gertrude) ne permette pas de saluer un quatuor d'exception : ne faisant pas confiance à un maquillage déjà terrifiant, elle surjoue, et son chant cahoteux, sa prononciation pâteuse, ne nous émeuvent pas. Quelques seconds rôles – dont Daniil Shtoda en Laërte, Joan Martin-Royo en fossoyeur – s'en sortent bien mieux.

La mise en scène du duo que forme Patrice Caurier et Moshe Leiser s'appuie sur des décors sobres et ingénieux – Christian Fenouillat –, des costumes sombres – Agostino Cavalca – pour rendre cette tragédie atemporelle. Le spectateur ne peut que s'attacher aux protagonistes tant la théâtralité est mise en avant, et la musique comme révélée. S'appuyant sur un orchestre contrasté qui nous plonge tout de suite dans le drame – quelques faiblesses aux cuivres, cependant –, Bertrand de Billy maîtrise avec beaucoup d'art les préludes wagnériens, les scènes verdiennes. Ajoutons à cela la qualité de la prise de vue, et on sera convaincu de posséder là un cadeau de Noël idéal.

LB