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Chroniques
Alfred Schnittke
intégrale des sonates pour piano
Alfred Schnittke(1934-1998) fut un compositeur aussi fascinant que déroutant. Auteur prolifique, il s'adonna à tous les genres : la symphonie, le concerto, la sonate, l'opéra, le quatuor, etc. Son art se révèle très complexe et seule cette citation de l'auteur peut aider à comprendre les méandres son âme créative : « Il faut témoigner que le passé existe pour y plonger ses racines. Je m'appuie sur la tradition pour la dépasser. J'appelle cela technique des styles multiples ». Son parcours commence même à rebours. Après des études de piano à Vienne, il se perfectionne en composition et direction de chœur au Conservatoire de Moscou, avant d'intégrer le personnel de l'établissement comme professeur d'écriture et de déchiffrage. Commencé sous le signe de l'influence de Prokofiev et de Chostakovitch, son style évolue vers un mélange de sérialisme, d'influence bartokienne et de fascination pour les compositeurs polonais contemporains, avant d'éclater en un incroyable patchwork. On y croise alors tout type de pièces et d'influences : le postromantisme (Symphonie n°2, Saint Florian), les hommages aux compositeurs de son siècle (Canon à la mémoire de Stravinsky) et la révérence devant les maîtres du passé (Mo-Zart à la Haydn). Très vaste, son catalogue reste inégal et les chefs-d’œuvre que sont le Concerto pour alto ou les Chants de repentances ne peuvent masquer la faiblesse de nombre de ses pièces pour orchestre ou de son opéra La vie avec un idiot.
Les trois Sonates pour piano sont des œuvres tardives (1988, 1991 et 1992). Le compositeur avait pourtant pratiqué la musique pour clavier dans les années soixante avec Prélude et fugue (1963) et Improvisation et fugue (1965). Cette dernière pièce, issue d'une commande du Ministère de la Culture pour le concours Tchaïkovski, clôt ce programme. Bien troussée, virtuose, structurée et lyrique, elle est une jolie partition de concours destinée à mettre en valeur le talent des candidats. Les Sonates pour piano sont d'un tout autre niveau, et l'on touche ici à l'un des corpus les plus intéressants de la seconde moitié du siècle dernier. D'une esthétique très proche, elles peuvent même être considérées comme trois variations sur un même thème.
Il est particulièrement délicat de mettre des mots sur celle musique, tant ils pourraient être réducteurs. L'économie de moyen et la tension dramatique sont au centre de ces créations à la structure élaborée, mais qui donnent l'impression de fluidité et de liberté. Les statues du Commandeur du piano russe sont évidement présentes et l'on sent poindre les ombres de Scriabine, Prokofiev et Chostakovitch pour la noirceur des climats. Le jeune pianisteIgor Tchetuev (né en 1980) est un parfait maître de cérémonie ; sa technique et sa musicalité sont dignes d'éloges. Au final, on ne peut que recommander chaleureusement cet album qui présente Schnittke sous son meilleur jour.
PJT