Dossier

entretien réalisé par bertrand bolognesi
paris – 19 avril 2006

Alain Galliari
vingt ans de la Médiathèque Musicale Mahler

pour Ananclase, Delphine Roullier photographie la Médiathèque Musicale Mahler
© delphine roullier

Cet automne, il y aura vingt ans que la Médiathèque Musicale Mahler ouvrait ses portes au public. À l'occasion de cet anniversaire, nous avons rencontré le musicologue Alain Galliari : il nous rappelle les premiers pas de l’institution qu’il dirige, présente sa mission et invite activement à profiter des ressources qu’elle offre et à explorer ses trésors cachés.

Un peu d'histoire…

Grâce à la réunion des archives personnelles d'Henry-Louis de La Grange et de Maurice Fleuret, complétées par la bibliothèque musicale d'Alfred Cortot, c'est le 2 mai 1986 que fut inaugurée la Bibliothèque Musicale Gustav Mahler (BMGM), ouverte au public trois mois plus tard, dans l’hôtel particulier dont les fondateurs avaient auparavant fait l’acquisition. Dès l'année suivante, les fonds Yvonne Lefébure et Reine Gianoli vinrent enrichir ses collections, suivis en 1988 par les fonds Claude Debussy, Camille Saint-Saëns, André Schaeffner et Xavier Perreau. Tout en développant sa documentation, la BMGM se fera maître d'œuvre de plusieurs grandes expositions, dans ses propres locaux ou au Théâtre du Châtelet, parmi lesquelles celles consacrées à Yvonne Lefébure (1987), Alfred Cortot (1988), Gustav Mahler (1989), Béla Bartók (1993), Arnold Schönberg (1995), Ferruccio Busoni (2000) et Richard Wagner (2005). Au fil du temps et de son développement, la Bibliothèque deviendra Centre de Documentation Musicale-Bibliothèque Gustav Mahler (1996), puis Médiathèque Musicale Mahler, en 2002. Son dixième anniversaire fut célébré par un récital exceptionnel du baryton Thomas Hampson que Wolfram Rieger accompagnait au piano (15 mars 1996). Signalerons le soutien régulier de cet artiste et la complicité de Pierre Boulez – concerts du 9 novembre 1999 et du 9 novembre 2005, master classes à l'automne 2002.

...et de géographie

Ce matin, Alain Galliari, directeur de la Médiathèque Musicale Mahler, nous accueille et nous accompagne tout au long d'une visite passionnante, amorcée à l'étage qui contient deux salles de consultation et de travail avec postes d'écoute où le visiteur trouvera quelques quarante-cinq milles disques compacts, trente milles disques vinyles – outre la présence des références commercialisées, d'ailleurs parfois indisponibles aux catalogues des éditeurs, on rencontrera quelques gravures qui, pour diverses raisons, n'ont pas été publiées –, trente-cinq milles partitions, trente milles livres et deux cents revues. Au rez-de-chaussée, nous découvrons une vaste documentation, constituée de plus de seize milles dossiers thématiques qui font l'objet d'une constante mise à jour. Puis, par la cour de l'immeuble, nous gagnons le pavillon Cortot, inauguré il y a six ans : un piano et beaucoup de calme font de cette salle le cadre idéal de déchiffrages approfondis pour les chercheurs ou de répétitions pour les artistes. De là, un colimaçon nous invite aux archives où deux salles conservent les fonds patrimoniaux (manuscrits, partitions annotées, correspondances, etc.) et où une chambre forte protège les pièces les plus précieuses.

les musicologues Alain Galliari et Bertrand Bolognesi s'entretiennent
© delphine roullier

Musicologue de formation, Alain Galliari fut responsable de 1981 à 1994 de la bibliothèque de l'IRCAM. Conseiller musical scientifique de plusieurs encyclopédies (Bordas, Larousse, Atlas), il a également créé et dirigé des collections musicales aux Castor Astral et chez L'Arche. À ce titre il a publié une dizaine d'ouvrages (dont L'Habitant du labyrinthe, livre d'entretiens avec le compositeur Claude Ballif) et prépare actuellement pour les éditions Fayard une grande biographie d'Anton von Webern. Alain Galliari dirige la Médiathèque Musicale Mahler (MMM) depuis 2002.

Cette année, la Médiathèque Musicale Mahler comptera ses vingt printemps. Quel regard portez-vous sur ces années et sur celles qui viendront ?

De toute évidence, de bonnes fées se sont penchées sur son berceau. En vingt ans d'activité, il était peu probable d'obtenir un tel résultat, en terme de qualité, de quantité, de diversité et même de rareté des documents ici réunis. Ce succès est lié aux personnes d'Henry-Louis de La Grange et de Maurice Fleuret, les fondateurs de la MMM, qui ont apporté leurs collections personnelles – livres, disques, partitions, mais aussi pièces d'archives, dossiers de presse, etc. Ce double apport initial, déjà fort important en termes quantitatifs et qualitatifs, a constitué le noyau de départ de la MMM. Les multiples amitiés que ces deux passionnés lièrent de par leurs activités dans le milieu musical a par la suite facilité l’arrivée de nouvelles collections, ce qui explique l'étendue des fonds documentaires mis à la disposition du public. C'est en prenant la direction de la Médiathèque, il y a quatre ans, que le pus en mesurer véritablement la richesse considérable.

Quels sont les principaux fonds de cette bibliothèque ?

Il faut distinguer en premier lieu les collections documentaires générales (partitions, livres, revues, disques, dossiers documentaires), qui forment la partie immergé de la Médiathèque – la plus importante en termes numériques –, des fonds d'archives patrimoniaux qui recèlent des pièces de collection le plus souvent uniques. Parmi ceux-ci vient naturellement en premier lieu le fonds Mahler issu du travail d'Henry-Louis de La Grange, ainsi que les archives de Maurice Fleuret. D'autres fonds se rattachent à l'univers mahlérien, comme les fonds Selma Kurz, l'un des grands soprani de l'Opéra de Vienne lorsque Mahler le dirigeait, ou le fonds Guillaume de Lallemand, un général mélomane qui a beaucoup aidé Mahler en France et fut en relation avec de nombreuses autres personnalités musicales, comme Émeric Magnard, Henri Duparc, Ernest Chausson, etc. Nous possédons également des collections indépendantes de cet univers : les fonds Yvonne Lefébure-Fred Goldbeck (amis d'Henry Louis de La Grange et de Maurice Fleuret), Marguerite Long, Gioacchino Rossini, confié par un héritière, Émile Vuillermoz – une source inépuisable d'information, puisque ce critique cultivait cette habitude fréquente en son temps de conserver tous les articles sur la musique : ses archives offrent aujourd'hui une image particulièrement fidèle de la vie musicale parisienne entre 1920 et 1950 –, sans oublier les fonds Claude Debussy, Camille Saint-Saëns, André Cluytens, André Jolivet, Joseph Kosma, Charles Kœchlin, Alfred Cortot, Paul Le Flem, etc. Reconnaissant le travail effectué durant les dix premières années d'expérience, certains donateurs choisissent de donner leurs archives à la MMM qui répond à leur préoccupation quant à la bonne conservation, à l'entretien et à l'accessibilité des documents. C'est le cas de la famille Kœchlin, par exemple. À mes yeux, ces élans spontanés sont le reflet de l'efficacité du travail accompli chaque jour, le fruit de l'investissement de mes prédécesseurs et de toute l'équipe.

Comment fonctionne cette équipe ?

partition annotée de la Sonate de Jean Barréqué, Médiathèque Musicale Mahler
© mmm | fonds barraqué-helffer

La Médiathèque Mahler emploie actuellement trois documentalistes à plein temps et trois administratifs à temps partiel. C’est peu, mais il faut savoir que ses premiers pas n'ont pas bénéficié de ce peu-là : ils purent être parcourus grâce à l'enthousiasme contagieux des fondateurs. Ce dut être d'autant difficile que l'ambition de cette structure n'a jamais été dilettante ou amatrice : il s'agit bien, et depuis toujours, d'une bibliothèque professionnelle.

Quel est le budget de la Médiathèque Musicale Mahler ?

Cela représente désormais un coût annuel non négligeable (environ trois-cent milles euros), réparti en trois parts. D'abord, il y a les salaires, poste important pour toutes les entreprises. Ensuite, il faut compter la charge considérable des matériels et du bâtiment, une charge dont on ne peut assumer que la part nous semblant la plus urgente, à savoir tout ce qui concerne la sécurité des documents conservés – l'humidité est son pire ennemi, par exemple, une menace qu'il nous faut sans cesse traquer. Et puis, il y a un budget d'acquisition, puisque nous continuons d'augmenter nos ressources documentaires, non seulement en recueillant les dons spontanés évoqués plus haut mais encore en achetant chaque année des livres, des disques et des partitions. Ce budget est essentiellement financé par deux sources : les subventions publiques et des soutiens privés, les recettes propres pouvant être considérées comme une troisième source qui, sans être négligeable, demeure minoritaire – une bibliothèque, quelque effort qu'elle fournisse, ne peut développer de véritables activités de rapport, sauf à titre exceptionnel. L'incidence de certains événements exceptionnels en est d'autant sensible. Mais l'équilibre entre le coût de ces opérations et leur rapport est extrêmement délicat. Elles ne peuvent se faire réellement que grâce à l'engagement et au soutien des artistes et de partenaires institutionnels.

Ce fut le cas du concert de l’automne dernier [lire notre chronique du 9 novembre 2005] : la Ville de Paris avait mis gratuitement le Théâtre du Châtelet à notre disposition, de même que la présence de l'Orchestre Philharmonique de Radio France n'occasionnait aucun frais supplémentaire et que Pierre Boulez jouait gracieusement. À concert exceptionnel, conditions exceptionnelles – impossible autrement ! Pourtant, ces événements ne sauraient par nature être réguliers. De façon plus modeste, nos recettes sont constituées par les adhésions des visiteurs et par notre service de documentation musicale : toute institution (maisons d'opéra, orchestres, festivals, etc.) ou personne privée peut, en s'y abonnant, bénéficier de services « à la carte » sur des sujets précis, notre équipe s'avérant alors particulièrement utile dans cette collecte qui pour ses abonnés représente un gain de temps appréciable. Cette activité est essentielle, car elle nous relie constamment à la vie musicale du pays. Les subventions publiques et le mécénat privé demeurent nos deux principales ressources financières. Notre association (loi 1901) bénéficie du soutien continu du Ministère de la Culture, via la Direction de la Musique et de la Danse et la Direction du Livre et de la Lecture, mais aussi de la Mairie de Paris et de la SACEM. Côté privé, elle est soutenue par la Fondation de France, ainsi que par Henry-Louis de La Grange et Pierre Bergé, notre Président, et plusieurs mécènes ou fondations qui leur sont liés.

La Médiathèque Musicale Mahler reçoit Anaclase, mai 2005
© delphine roullier

Tous les fonds proviennent-ils de donations ? La MMM achète-t-elle certaines archives ?

Pouvoir le faire serait un rêve ! Mais cela représenterait un budget d'acquisition énorme… Il faut se rendre à l'évidence, il nous est pratiquement impossible d'acheter des fonds patrimoniaux. Aujourd’hui, la moindre pièce prend une valeur rédhibitoire – seuls les documents d'intérêt médiocre restent à peu près accessibles. Le marché des collections précieuses est hors des proportions que nous avons à gérer. D'autre part, notre mission est d'offrir une documentation et non de satisfaire quelque fétichisme que ce soit. En général, les possesseurs de véritables fonds patrimoniaux sont des descendants directs ou indirects de la personnalité qu'ils représentent. Aussi sont-ils toujours conscients de la valeur des documents qu'ils détiennent. Plus aiguë est cette conscience, plus ils souhaitent faire don des biens dont ils se trouvent dépositaires, afin de les placer en sécurité. Encore veulent-ils naturellement obtenir en échange des garantis bien légitimes. C'est la raison pour laquelle certaines personnes ou familles font d'abord la démarche de déposer chez nous les documents avant de les donner. Après avoir pu évaluer durant un temps la manière dont leur bien est soigné et considéré, la plupart du temps, ils nous en font don.

Les portes de la Médiathèque Musicale Mahler se sont ouvertes au public à l'automne 1986. Cet anniversaire fera-t-il l'objet de festivités particulières ?

Il n'y aura pas de grands projets extérieurs visibles, de type concert ou exposition. Plus simplement, je souhaite mener des opérations directement liées à notre métier – la documentation musicale, rappelons-le – afin d'aller en priorité en direction du lectorat musical. Des actions de communication auprès du public sont aujourd'hui indispensables. Il est pour nous primordial de bien faire comprendre que la Médiathèque Musicale Mahler, comme son nom de ne l'indique pas, ne conserve pas exclusivement une documentation mahlérienne et qu'elle n'est pas non plus une société secrète réservée aux initiés, mais une institution ouverte à tout le monde, sur simple inscription. Certes, on y trouve beaucoup de choses concernant Mahler (livres, CDs, correspondance, etc.), mais pas uniquement. Si l'appellation Médiathèque Musicale Mahler reste légitime, puisque cette bibliothèque est née de la passion bien connue d'Henry-Louis de La Grange, il est urgent que nous fassions savoir aux acteurs de la vie musicale (musiciens, musicologues, producteurs de concerts, mais aussi étudiants et simples lecteurs) qu'elle possède une vingtaine d'autres fonds d'archives et des collections de livres, de partitions et d'enregistrements sonores qui couvrent toute l'histoire de la musique, du Moyen Âge à nos jours. Nous ne créerons pas d'événement exceptionnel cette année – celui que représenta le concert Boulez de novembre 2005 n'est pas envisageable tous les ans ! –, mais nous attèlerons, entre autres, à la numérisation des archives et au développement de notre site internet, afin d'en faire un véritable outil de recherche documentaire.

Médiathèque Musicale Mahler
11 bis, rue de Vézelay
75008 Paris

renseignements au 01 53 89 09 10
métro Villiers et Miromesnil
bus n°30, n°84 et n°94

visiter mediathequemahler.org