Chroniques

par michel slama

Aida
film de Clemente Fracassi

1 DVD Bel Air Classiques (2017)
BAC 146
Sophia Loren et Renata Tebaldi sont Aida pour le film de Fracassi (1953)

Présentée hors compétition au Festival de Cannes 1987, cette Aida cinématographique était tombée dans l’oubli, comme de nombreux films d’opéra de l’époque. Réalisée en 1953, elle constitue les premiers pas du genre, tel qu’il se magnifiera plus tard avec le Don Giovanni de Joseph Losey, La traviata de Franco Zeffirelli ou la Carmen de Francesco Rosi. Le cinéma italien des années cinquante et soixante raffolait de productions à grand spectacle se déroulant dans l’antiquité. Cinecittà en produisit une grande quantité, dont cet ouvrage, pour l’occasion transformé en péplum.

Grand amateur d’opéra et de mélo, Clemente Fracassi est peu connu des cinéphiles, même s’il a collaboré avec les grandes stars du cinéma italien. Il n’a réalisé que quatre films et en produisit une petite dizaine. Il voulait que son Aida soit un film d’opéra spectaculaire en technicolor, avec une partition musicale de haut niveau – amputée d’une heure afin de respecter la durée moyenne d’un long métrage. Pour incarner la malheureuse princesse éthiopienne, il souhaitait l’étoile montante du monde lyrique, Renata Tebaldi qui, en 1953, avait déjà été acclamée sur toutes les scènes internationales. Grand lirico spinto, elle possédait un répertoire très riche. Aida et Butterfly marquèrent à jamais la carrière de la diva.

L’année du tournage, Tebaldi interprétait la princesse éthiopienne à Naples, aux côtés d’Ebe Stignani en Amneris. Elle renonça pourtant à incarner l’héroïne devant les caméras et n’accepta que d’en interpréter la partie chantée. Pour la doubler à l’image, on pensa alors à Gina Lollobrigida et à d’autres starlettes sculpturales, mais le choix se porta finalement sur la toute jeune Sophia Loren qui avait à peine dix-huit ans et dont la beauté et l’expressivité étaient sans égal. L’actrice s’est procuré l’enregistrement que le soprano trentenaire avait enregistré en 1952 avec Mario Del Monaco, afin de connaître par cœur le texte et le phrasé de la cantatrice. Du coup, elle est vraiment exceptionnelle de vérité et son doublage est superlatif. Chaque émotion passe sur son beau visage et colle à merveille à la musique.

Dans de délicieux décors de carton-pâte kitschissime, Sophia Loren arbore des tenues très suggestives qui mettent en valeur sa plastique légendaire. Sa peau est délicatement foncée pour tenir compte des origines du personnage, tout comme son père, le terrible Afro Poli qui campe un Amonasro rageur et vindicatif. Autre mystère du casting, pourquoi cet excellent baryton italien ne chante-t-il pas, doublé par l’un des confrères les plus remarquables de l’époque, le grand Gino Bechi ? Luciano Della Marra joue Radamès. Cet acteur au physique avantageux est doublé par une autre légende de son temps, le ténor Giuseppe Campora, voix parfaite pour le rôle. Il forme un couple idéal, très crédible, avec Aida. En Amneris, le mezzo Ebe Stignani, qui était à la fin d’une brillante carrière, reste, à cinquante ans, en grande forme. Elle venait d’achever l’enregistrement historique de la Norma de Bellini avec Callas, sous la direction de Tullio Serafin. Elle prête son timbre à la belle Lois Maxwell, actrice canadienne à la mode qui demeurera dans la postérité Miss Moneypenny dans quatorze films de James Bond. Elle est une redoutable princesse d’Égypte, hautaine et impitoyable. Oublions des ballets bien inutiles et hors de propos, confiés pourtant à la grande Margarita Wallmann, chorégraphe particulière de Maria Callas. Placés sous la direction de Giuseppe Morelli, les Coro e Orchestra della RAI Roma contribuent à faire de cette heure et demie un sympathique divertissement, suranné mais fort attachant.

MS