Chroniques

par pierre-jean tribbot

Леди Макбет Мценского уезда | Lady Macbeth de Mzensk
opéra de Dmitri Chostakovitch

Het Muziektheater, Amsterdam
- 25 juin 2006
© dno

Le mois de juin amstellodamois rime avec Holland Festival. Cette manifestation multidisciplinaire accorde une grande importance à la musique et à l’opéra. Ainsi les spectateurs de l’édition 2006 peuvent-ils se régaler de représentations de Dido and Aeneas de Purcell, de Zoroastre de Rameau, d’Angels in America d’Eötvös, de la création de l’opéra After Life du jeune compositeur batave Michael van der Aa et, surtout, d’une nouvelle production de Lady Macbeth de Mzensk de Dmitri Chostakovitch.

Ce spectacle de prestige, coproduit avec le Nederlandse Opera, propose les débuts dans la fosse locale du charismatique Mariss Jansons. Essentiellement connu pour ses prestations symphoniques, ce musicien a peu fréquenté le monde lyrique, sa dernière expérience en ce domaine remontant à une dizaine d’années où, chef permanent de la philharmonie d’Oslo, il s’était aventuré dans une version concertante de La Bohème. L’événement était d’autant plus important qu’il dirige son Koninklijk Concertgebouworkest pour son unique apparition annuelle au Muziektheater. De bout en bout, Mariss Jansons porte la partition à l’incandescence, fait sortir le drame de chaque note, de chaque nuance et inflexion. La formation hollandaise suit la moindre de ses sollicitations. Son excellente technique permet de faire un sort aux différentes polkas et valses qui émaillent l’opéra.

La mise en scène est dévolue à l’Autrichien Martin Kušej ; actuel directeur de la partie théâtrale du Salzburger Festspiele, ce scénographe possède déjà une haute réputation pour son travail à l’opéra de Stuttgart - Die Gezeichneten [lire notre chronique du 18 avril 2004], Otello – et à Salzbourg – Don Giovanni et La Clemenzadi Tito. Dans un imposant décor de bois de Martin Zehetgruber d’où n’émerge qu’une cabane de verre, Kušej dirige une action intense qui exacerbe les conflits entre personnages, comme les violences sexuelles, et renforce l’oppression sociale autour de l’héroïne.Le metteur en scène évite toute caricature et interprétation réductrice des protagonistes. Il insiste sur une médiocrité qui se cache mal derrière le prestige social lié à leurs habits ou leurs uniformes. Le dernier acte, qui voit les détenus errer dans un sous-sol humide à la recherche d’une quelconque satisfaction affective, est d’un impact saisissant, tout comme l’arrivée souterraine des policiers lors des noces de Sergeï et Katerina. Le travail scénographique s’affirme comme l’une des plus intelligentes réalisations de la saison, véritable vision de fond qui illumine le propos d’une œuvre aux multiples facettes.

La réussite musicale se poursuit avec une équipe vocale d’un niveau stupéfiant. Le soprano hollandais Eva-Maria Westbroek ne possède peut-être pas le timbre et l’agilité vocale les plus impressionnants du moment, mais sa technique et son engagement dramatique soulèvent l’enthousiasme. Fidèle de ce rôle qu’il chante sur toutes les grandes scènes mondiales, Christopher Ventris est LE Sergeï du moment ; le timbre, l’aisance vocale et la compréhension du rôle n’ont pas d’équivalent aujourd’hui. Le reste de la nombreuse distribution est du même niveau. On y remarque de solides venus des principales troupes d’Europe de l’Est : Alexandre Kravets, Alexander Vassiliev, Nikita Strorojev, Valentin Jar, Vladimir Vaneev, Wojtek Okraska ; des artistes hollandais : Martin Vijgenboom, Jan Polak, Ruud Fiselier, Jan Major, Leo Geers, Harry Teenwen, Cor de Wit ; ainsi qu’une Britannique, Carole Wilson, et une Américaine, Lani Poulson. Le chœur de l’Opéra d’Amsterdam, visiblement galvanisé par l’enjeu, est imposant d’homogénéité et de projection.

Cet extraordinaire spectacle clôt une saison d’un haut niveau. À l’exception d’un assez décevant Simon Boccanegra, le public néerlandais a pu assister à des productions exceptionnelles magnifiées par la présence de grands chefs d’orchestre comme Carlo Rizzi ou Ingo Metzmacher, directeur musical de la maison, mais aussi par le travail de grands metteurs en scène à l’image de Pierre Audi, Peter Stein, Richard Jones, Peter Mussbach.

PJT