Chroniques

par jérémie szpirglas

Zajal
opéra de Zad Moultaka

TAP, Poitiers
- 22 avril 2010
Zajal, opéra de Zad Moultaka
© arthur pequin

Pour son nouvel opéra, Zad Moultaka continue d'exploiter le filon du métissage oriento-occidental – un métissage dont il a déjà maintes fois prouvé la richesse. Le voilà donc, avec l'ensemble Ars Nova et sa collaboratrice de longue date, le contralto Fadia Tome el-Hage, mêlant un genre occidental de représentation musicale et scénique – l'opéra – et une forme de poésie populaire traditionnel, encore notablement vivace en Égypte et au Liban – le Zajal, qui a donné son titre à l'ouvrage.

Le rideau se lève donc au premier acte sur une (suggestion de) compétition de Zajal. Un étranger – nécessairement masqué, nous sommes à l'opéra, après tout – arrive sur la place du village et lance un défi à l'un des sages, incarné par le comédien Gabriel Yammine (figure monumentale du pouvoir, projetée sur un grand écran occupant toute l'ouverture de scène), qui préside de loin la séance. Commence alors une série haletante d'exercices poétiques déclamatoires à la complexité et la délicatesse croissantes, qui se terminera en joute verbale tourbillonnante.

Après un deuxième acte plus calme, durant lequel les lutteurs se reposent et le village sombre dans un demi-sommeil, la scène plongeant quant à elle dans un onirisme qui résonne encore dans le silence des accents Zajal, le combat reprend de plus belle.

Le tour de force de Zad Moultaka est d'utiliser le Zajal non seulement comme source d'inspiration, mais aussi comme générateur formel et véhicule de l'intrigue. Car l'étranger donne dans chacune de ses tirades des indices quant à son identité, jusqu'à la révéler enfin, dans un geste on ne peut plus théâtral, le compositeur réunissant là mythes (Œdipe en tête) et figures archétypales de l'art occidental (le retour du fils prodigue).

Si, par son statisme, notamment, dans les deuxième et troisième actes, la dimension scénique de l'ouvrage peut décevoir, la musique, elle, ne manque pas de saveur, parfaitement défendue par Ars Nova sous la direction de Philippe Nahon. Lorgnant vers le théâtre musical et les sonorités décalées de Kagel, elle suggère l'entêtant des vocalisations typiques du Zajal, tout en gardant une distance lucide pour mieux porter la dramaturgie.

JS