Chroniques

par david verdier

Yefim Bronfman et Esa-Pekka Salonen
Symphonieorchesters des Bayerischen Rundfunks

Richard Strauss | Also sprach Zarathustra Op.30
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 9 juin 2012

Ce Zarathoustra de Salonen avec le Symphonieorchesters des Bayerischen Rundfunks (Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise) suit de près le concert donné à Pleyel il y a trois semaines par Gustavo Dudamel à la tête du Philharmonique de Berlin. Ce hasard de programmation offre sur certains aspects la tentation de comparer deux approches bien différentes. S'il faut céder – en partie seulement – à la tentation, c'est avant tout pour dégager les lignes de force qui distinguent des visions talentueuses, mais avec les défauts de leurs talents respectifs. Avec Dudamel, on avait l'impression que la brillance sonore était privilégiée pour faire ressortir l'aspect énergique et spectaculaire de la partition, sans cette once de retenue ou de sobriété qui signait son cycle Brahms avec le Philharmonique de Radio France [lire nos chroniques du 13 avril et du 20 avril 2012]. Chez Salonen, il y a une volonté perceptible de ne pas céder aux facilités « hollywoodiennes » pour mieux souligner la démonstration de maîtrise technique.

Étrangement, l'accord initial contrebasse-orgue trébuche un peu avant de trouver son équilibre. La gestuelle est d'une grande lisibilité, n'hésitant pas à marquer les accords massifs en dessinant avec la baguette une courbe depuis le milieu des épaules vers l'avant. L'urgence cursive et dramatique du propos ne s'attarde pas sur les larges panoramas métaphysiques, malgré une tendance naturelle du quatuor à vibrer au delà des intentions du chef. Ce Zarathoustra éminemment symphonique séduit par la volonté de fouiller les arrière-plans et les contours mélodiques. Les valses folkloriques sont rendues assez raides par les glissandi contondants du premier violon, alors même que les échanges du Chant de la Danse tutoient des sommets d'hédonisme. L'orchestre bavarois est certes mieux « tenu » que le Berlinois – les contrebasses, en particulier, ne noient pas l'image sonore –, mais en contrepartie, la matité de l'acoustique générale étouffe un peu les reliefs. Là où Dudamel prenait le risque de jouer sur un volume et une masse sonore littéralement impressionnants, Salonen contourne l'obstacle, même si la luxuriance exprime un plaisir terrien, sobre et prosaïque à « sonner ensemble ».

Dans la seconde partie, le Concerto pour piano en si bémol majeur Op.83 n°2 de Brahms fait mieux mesurer le défi de succéder à une œuvre aussi riche et délirante. Après un tutti athlétique pris à bras-le-corps, le pianiste Yefim Bronfman ne met pas longtemps à prouver sa capacité à répondre aux uppercuts de l'orchestre par des phrases cambrées sur les points culminants. L'usage très sobre de la pédale donne la primauté à l'impact et au staccato digital de certains passages. C'est un jeu « égalisé », à la palette expressive réduite et au médium un peu court qui fait disparaître la ligne soliste sous l'accompagnement, pourtant loin d'être exubérant. La petite harmonie de guingois est souvent prise en défaut et ce ne sont pas les cors, étrangement pâles et lointains, qui rattrapent cette impression. Millimétrique mais sans mystère, la direction cherche de toute évidence à éviter les chausse-trapes du sentimentalisme (le solo de violoncelle du deuxième mouvement est particulièrement éloquent sur ce point). Par pur esprit de contradiction, Bronfman offre en bis une douteuse huitième Étude de Chopin, aérolithe de pure minauderie égaré au milieu d'un concert jusqu'alors si sérieux.

DV