Chroniques

par vincent guillemin

Yannick Nézet-Séguin
Rotterdams Philharmonisch Orkest

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 21 juin 2013
Nézet-Séguin joue Le sacre du printemps
© dr

Clore après Valery Gergiev [lire notre chronique du 30 mai 2013], Esa-Pekka Salonen [lire notre chronique du 10 juin 2013] et Daniele Gatti la saison-centenaire du Sacre du printemps du Théâtre des Champs-Élysées est un dilemme pour Yannick Nézet-Séguin et son Rotterdams Philharmonisch Orkest, même avec un programme judicieusement complété par deux œuvres françaises contemporaines à quelques années près : La valse de Maurice Ravel et La mer de Claude Debussy.

La Valse est d’abord prévue comme un poème symphonique en hommage aux valses viennoises, avant d’être interrompue par le compositeur en 1906 pour être reprise et terminée en 1919-1920. Sur la partition définitive est écrit « des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d’une foule tournoyante » qui laisse l’auditeur inexpérimenté à un sujet futile. Mais l’époque ne trompe pas : 1906 et 1919 sont séparées par lune des plus grandes horreurs que connut le monde et cette valse, qui tourbillonne à s’en désincarner, n’a rien de joyeux.

Pourtant Nézet-Séguin reste au premier degré et cette Valse qui n’est pas triste sonne avec panache et très autrichienne dans sa première partie, avant qu’arrive le vertige où se mêlent Gershwin et Poulenc. C’est finalement une lecture assez convaincante, mais à l’opposé des visions plus noires et plus introspectives de l’œuvre.

La mer (1903-1905) est également joué au premier degré, sans recherche symbolique. Le traitement orchestral somptueux et la dynamique hollywoodienne font ressortir de belles couleurs, mais ce qui pouvait convaincre dans l’œuvre précédente n’y suffit pas. Souvent considérée par les compositeurs actuels comme l’une des pièces maîtresse de la transition musicale du début du XXe siècle, à l’égal d’Erwartung de Schönberg, La mer a gagné avec des chefs tel que Boulez une force qu’on n’entend pas ce soir. Les nappes de violons du Jeux de vagues (deuxième mouvement), devant faire ressortir la clarté et l’affrontement de motifs opposés, et le Dialogue du vent et de la mer (III) un effet de rupture permanent, en sont grevés ; l’on ne perçoit ici que souplesse et force symphonique.

Le Sacre du printemps ne déroge pas à cette manière de faire : un ballet est conçu pour danser, même sur le pupitre ! Beaucoup de bruits, pour un message toujours dynamique mais assez peu tendu, fait tout de même ressortir la grande qualité des instrumentistes rotterdamois, nettement moins en difficulté que leur collègues londoniens dix jours auparavant. Les trombones, et plus encore les trompettes, sont particulièrement beaux, surtout lorsque ces dernières sont utilisées bouchées en début de seconde partie. Parfaitement en place les percussions ne se font malheureusement pas toujours assez entendre par rapport aux cuivres et aux premiers violons, mais donnent à l’ensemble une belle ampleur.

C’est plutôt bien fait, mais manque toutefois un message pour convaincre totalement. En bis, Le jardin féérique de Ma mère l’Oye (Ravel) conclue de même manière un concert qui possède une belle dose de force symphonique et de décibels, mais sans la profondeur ni la puissance analytique qu’auraient mérité ces chefs-d’œuvre souvent joués.

VG