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Chroniques
Wiener Philharmoniker
Riccardo Muti joue Bruckner et Schubert
L’intégrale des neuf symphonies d’Anton Bruckner se poursuit avec ce programme donné à trois reprises, les matins de ce vendredi-samedi-dimanche d’Assomption (Munificentissimus Deus) où, depuis quelques heures seulement, le bleu du ciel semble vouloir se maintenir, comme pour mieux saluer l’hommage de ce concert à Herbert von Karajan à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition. Après Cornelius Meister et son ORF Sinfonieorchester Wien la semaine dernière [lire notre chronique du 9 août 2014], c’est aux Wiener Philharmoniker qu’il revient de jouer Die Keckste, sous la direction de Riccardo Muti.
Un dessin minutieux en ouvre le Majestoso, auquel l’opulence du puissant répons FF donne un écho saisissant. N’hésitant pas à contraster sa lecture, le chef italien en ménage savamment les effets, profitant comme il se doit et sans trop franche gourmandise de l’excellence admirable des pupitres viennois. Il mène bientôt le climax jusqu’à une amplitude proprement monumentale, jamais saturée toutefois, et en se gardant d’appesantir le tempo. L’opposition sensible de certains alliages chambristes aux plus exubérantes masses insuffle une expressivité probante, le final faisant bientôt place nette, sans complaisance aucune. La solennité de l’Adagio suivant se conjugue dans une aura toute mahlérienne, sur le suspens méditatif des cordes graves et des cuivres, superbes. Un je-ne-sais-quoi de funèbre s’en vient de là, le rubato des violons I et des bois figeant une sorte d’arrêt sur image, fort intrigant. L’ultime reprise du motif initial s’étire le plus sinistrement du monde.
Dans une saine lumière, Muti articule vigoureusement le Scherzo, sans forcer le trait ; la rigueur de son approche s’impose dans un calme dense que les ronds pizz’ du Trio, auxquels répondent des cors remarquables, dérivent par moments aux confins du sonore – passionnant ! Le retour du Scherzo d’alors se déployer comme un irrésistible ravissement. Après un début en grand secret, le dernier épisode de cette Symphonie en la majeur n°6 subit des aléas de tempo et une dynamique affectée qui confèrent au… caramel : l’interprétation perd de sa tenue, sans qu’on la puisse accuser de n’en plus avoir, cela dit.
Avant que d’honorer le maître de Sankt Florian, les Wiener Philharmoniker donnaient la Symphonie en ut mineur D.417 « Tragische » de Franz Schubert, inscrivant ainsi leur menu dans les premières représentations de l’opéra Fierrabras [lire notre chronique de la veille]. Nous en goutions l’onctueuse ciselure de l’Adagio introductif, avec son crescendo délicatement mené, un rien théâtral, mais surtout le recueillement extrême où l’Allegro vivace survient comme une révolution. Riccardo Muti avance dans la fine soie des cordes, à nulles autres pareilles, ne départissant pas les traits les plus clairs d’une inflexion grave. Des bois subtilement sfumati érigent un discret cantabile sur le glacis violonistique de l’Andante, osant à peine un rubato timide dans les passages plus lyriques. Après un Menuetto trop brutal et volontiers « ronflant », l’urgente fluidité cultivée par Muti au dernier mouvement fait florès. Les derniers pas retentissent comme un coup du sort – « tragique », oui.
BB