Chroniques

par laurent bergnach

Wiedersehen mit Brundibár
film de Douglas Wolfsperger

Festival du cinéma allemand / L’Arlequin, Paris
- 8 octobre 2015
Survivante de Terezín, Greta rencontre la nouvelle "génération Brundibár"
© dr

« La loi cruelle mais franche de la Grèce et de la Rome antiques autorisait à tuer un enfant. Au Moyen Âge, les pêcheurs trouvaient dans leurs filets des cadavres de nourrissons noyés dans des fleuves. Dans le Paris du XVIIe siècle, on vendait de jeunes enfants aux mendiants et, sur le parvis de Notre-Dame, on se débarrassait pour rien de tout-petits. Ce n’est pas si vieux que ça. » (in Comment aimer un enfant, Robert Laffont, 1979).

Lorsqu’il rédige sa brochure Le droit de l’enfant au respect en 1929, le pédiatre et pédagogue Janusz Korczak (1878-1942) connait bien les souffrances infligées aux plus jeunes depuis l’aube des temps. Comment aurait-il pu imaginer qu’à leur tour, en plein milieu du XXe siècle, deux cents orphelins à sa charge dans le ghetto de Varsovie connaîtraient la faim, le froid, l’entassement et le manque d’hygiène (tuberculose, typhus), jusqu’à leur déportation au camp de Treblinka, le 4 août 1942, déguisée en « repeuplement vers l'est » ?

Aujourd’hui, des crimes raciaux liés au renouveau de l’extrême droite allemande portent le cinéaste Douglas Wolfsperger à s’interroger et réagir. Avec Brundibár retrouvé (2014), il s’éloigne des écoles où sont souvent monté l’opéra d’Hans Krása [lire notre critique du CD] pour suivre de jeunes Berlinois en difficulté, dont Annika Westphal, Ikra-Fatma Latif (dix-huit ans) et David Schmidt (vingt-trois ans), qui répètent l’œuvre dans un théâtre, avec la metteuse en scène Uta Plate et le chef Norbert Ochmann au piano.

Portant de lourds bagages (rupture familiale, toxicomanie), ces trois-là ont d’abord des intérêts variés pour le projet et le sujet. Pourtant, ils s’accordent sur le mutisme de leurs proches (« ah, c’est du passé ! ») et la crudité scolaire pour évoquer l’Holocauste (juste des dates et des films morbides). Souvent revient aussi l’idée que la commémoration ou la visite des camps imposées n’est pas un idéal de transmission – David rappelle une rigolade autour des clôtures autrefois électrifiées.

Pour rendre sensible cette époque, mieux vaut rencontrer un témoin, lequel se nomme ici Greta Klingsberg. Née à Vienne en 1929, séparée de ses parents qui l’attendent en Palestine, Greta survit à Terezín de mars 1942 à octobre 1944. Elle y chante plus de cinquante fois le rôle d’Aninka, tandis qu’alentour de nouveaux enfants ne cessent de remplacer les disparus. « Brundibár était notre seule issue de secours » confie-t-elle à ces adolescents découvrant la prison qu’elle-même retrouve après plus d’un demi-siècle vécu en Israël.

En 1945, le film de propagande réalisé sous la contrainte par Kurt Gerron – déporté dans le dernier convoi pour Auschwitz où il est gazé avec l’équipe du tournage –, et connu sous le titre Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (Le Führer offre une ville aux Juifs), affichait avec cynisme un bonheur artificiel où la fête semblait continue [lire notre chronique du 10 mai 2009]. Seules quelques minutes en subsistent, dont celles d’une représentation de Brundibár. On les retrouve dans ce documentaire profond et touchant qui, lui, sait les mériter.

LB