Chroniques

par gérard corneloup

Werther
opéra de Jules Massenet

Opéra national de Lyon
- 26 janvier 2011
Werther
© michel cavalca

Que les mélomanes qui ont définitivement rangé le Jules stéphanois et tout son attirail lyrico-théâtral dans le lointain rayon de l’opéra-romance de grand-papa – et de grand-maman –, son conformisme, à la fois dramatique et musical, bercé (pour ne pas dire noyé) par les flots de mélodies doucereuses ; bref que ces mélomanes-là prennent TGV ou voiture en direction de Lyon où se passe quelque chose en la matière. Quelque chose d’inattendu, d’inouï même, pour eux : L’Opéra national de la cité rhodanienne offre une version à la fois novatrice et vivifiée, donc vivifiante, du Werther de Massenet, frappée du sceau de la jeunesse. Une jeunesse omniprésente, jaillissante, innocente, spectatrice et détentrice d’une vérité innée que les conventions asservissantes créées par le monde des adultes s’emploient à corrompre, à étouffer, à dissoudre. Tous en sont touchés et certains même en meurent, tel ce grand enfant dépeint par Goethe, Werther dont la passion pour l’inaccessible Charlotte n’aura d’autre issue pour lui que de quitter un monde d’adultes qui lui est totalement étranger.

Assez singulièrement, mais sans doute significativement, le maître d’œuvre de cette lecture aussi limpide et incisive que touchante et convaincante n’est pas un homme du sérail théâtral, ses théories et ses certitudes, mais un chanteur ayant lui-même interprété le héros goethéen, un artiste que les hasards de la vie ont éloigné de la scène côté vocal et qui décida d’y revenir côté scénographique. Comme Rolando Villazon a raison d’entreprendre et de mener à bien cette démarche ! Le résultat est une réussite qui peut choquer un brin les vétérans ayant vu défiler des générations de Werther Troisième République, avec costumes sombre et robes à panier, une réussite qui se fait passerelle idéale pour un jeune public plus proche de la techno et du rap que du théâtre lyrique, public que Serge Dorny s’emploie à faire venir… et revenir – là, c’est gagné !

Jeunesse, donc.
Celle qui marque la direction d’acteur d’une indélébile spontanéité. Celle qui se dégage des décors mobiles, façon Calder, conçus par François Seguin, où triomphe le blanc, bien sûr. Celle des costumes où les coloris étincelants qui parent les enfants, grands et petits, rejettent dans un flou lointain les mornes teintes engonçant les aînés. Celle qu’insuffle à bien des scènes la présence de clowns alternativement partenaires et témoins des évènements – et aux interventions jamais superfétatoires, gratuites et envahissantes, comme dans certaines Mamelles de Tirésias récemment données sur la même scène [lire notre chronique du 30 novembre 2010]. Celle, enfin, d’enfants également témoins mais muets, semblant là pour prendre une triste leçon de choses quant à leur vie future.

Vocalement, à une exception près, la distribution se montre d’une belle homogénéité. Les deux – si dissemblables – héroïnes sont aussi à l’aise dramatiquement que vocalement : Karine Deshayes musicale et expressive à souhait dans le rôle de Charlotte, Anne-Catherine Gillet étincelante dans le piquant rôle de Sophie. Alain Vernhes est un solide et savoureux Bailly, alors que Jean-Paul Fouchécourt et Nabil Suliman campent avec brio le pittoresque duumvirat Schmidt et Johann. Pour sa part, Lionel Lhote défend fort bien l’ingrat rôle d’Albert, le mari de l’histoire, mais Arturo Chacón-Cruz ne convainc pas vraiment dans le superbe personnage éponyme : le chant manque de ductilité, les passages de registres sont indiscrets, les aigus tendus. L’esprit n’y est pas – ce n’est plus Massenet mais Mascagni ! En revanche, les enfants de la maîtrise maison montrent une nouvelle fois la musicalité et l’homogénéité qui est la leur.

Le dernier atout de ce spectacle, et non des moindres, réside dans la direction détaillée de Leopold Hager… d’une œuvre qui, d’ailleurs, fut créée en langue allemande devant le public viennois. Avec éclat, finesse, grande précision des attaques et un soin tout particulier des solos instrumentaux, le maestro dégage la partition de toute la guimauve dont une certaine tradition trop longtemps la recouvrit. Du coup, la fosse est au diapason de la scène, et heureux le spectateur.

GC