Chroniques

par david verdier

Waltraud Meier et Philippe Jordan
œuvres de Berlioz, Debussy et Stravinsky

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 23 mai 2012
Waltraud Meier interprète Les nuits d'été de Berlioz, à l'Auditorium Bastille
© nomi baumgartl

Le principal obstacle du Faune pourrait être la tendance généralisée à y exprimer une suggestivité excessive, un brin suave et prétexte à de langoureux climats peuplés de volutes éthérées. Sous la baguette de Philippe Jordan, cette interprétation très libre du poème de Mallarmé surprend par la concentration méticuleuse qu'il y imprime à devoir maîtriser le flux des lignes solistes dans un cadre expressif concis. C'est une Après-midi hivernale qui se dessinerait presque ici, tant les couleurs peinent à s'étoffer, étrangement comme par crainte « d'émollience » et de sensualité. Le discours de la flûte se perd dans le vaste espace de Bastille, dessinant de modestes entrelacs tandis que les cordes semblent fanées et sans relief. On cherche sans l'atteindre l'acmé qui tarde et venir et ne vient pas, laissant derrière elle un rideau de notes sans réelle densité émotionnelle. Par certains aspects, cette vision séduit à la manière d'une lithographie ou d'un dessin à la pointe sèche, à mille lieues des aquarelles sonores qu'on pourrait attendre.

Second et dernier cycle de mélodies de Berlioz, Les nuits d’été mettent en musique six poèmes extraits de La comédie de la mort de Théophile Gautier. Tant sur le plan poétique que sur le musical, le sentiment qui s'exprime ici peine à sublimer des contours relativement convenus et délicatement désuets. On retrouve avec bonheur la voix ambrée de Waltraud Meier dans ses pièces où se mêlent espoir déçu et amours enfuies. Dans Villanelle, la matière vocale est encore peu malléable, ce qui rend le legato fort précautionneux pour éviter toute rupture. Les attaques de phrases peinent à se relancer quand elles sont maintenues trop longtemps dans le registre grave. La nostalgie du Spectre de la rose est particulièrement bien rendue, malgré la tendance à moduler dans le masque, au risque de limiter la projection. Dans Absence et Au cimetière, le mezzo allemand parvient à une concentration de l'écoute grâce à un timbre qui cache bien son jeu. La ligne moins agile de L'île inconnue laisse apparaître çà et là une épaisseur de trait qui fait passer la maîtrise technique avant l'expression, mais la précision de l'intonation et de la diction illumine la mélodie, malgré un orchestre qui se refuse à laisser éclore le sentiment.

En seconde partie, Le sacre du printemps renouvelle le penchant de Philippe Jordan à aligner des plans et des perspectives impeccables, sans se risquer à une certaine proportion impure dans le dosage des pupitres. Les chevauchements harmoniques du Jeu des cités rivales dessinent les contours d'un sacre en frac, au caractère plus urbain que barbare. Vers la fin de la première partie, la battue ne se contente plus de faire se succéder les barres de mesure ; l'énergie accumulée éclate dans une Danse de la terre d'une âpreté contondante que l'on espérait plus.

La percussion domine toute la seconde partie, particulièrement dans la Glorification de l'élue. La succession rythmique centrifuge, caractéristique de ce passage, sculpte à vif des blocs sonores impressionnants. La battue a le souci de tomber en mesure, ce qui limite parfois l'intérêt à l'impact et à la netteté des résonances. La clarinette basse introduit d'une figure assez neutre une Danse sacrale d'une fureur quasi motorique mais bel et bien engagée vers l'accord final.

DV