Chroniques

par monique parmentier

Vespro della Beata Vergine de Monteverdi
400 ans d’une œuvre, 300 d’un lieu

Chapelle royale, Versailles
- 8 septembre 2010
© saskia perry

Il est des concerts dont on rêve toute une vie et que seule la rencontre de l’histoire et d’artistes exceptionnels rendent possibles. Ce soir, tout était réuni. Alors que la Chapelle royale commémore son tricentenaire, l’une des œuvres les plus universelles, les plus intemporelles et les plus somptueuses qui soient célèbrent leurs quatre cent ans : les Vêpres à la Vierge (Vespro della Beata Vergine da concerto) de Claudio Monteverdi. Elles sont probablement un des trésors humains les plus rares et les plus précieux. La Chapelle royale en est le plus bel écrin qu’on puisse leur offrir. Tels des joailliers de l’invisible, John Eliot Gardiner, les Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists en créent la version à laquelle Monteverdi dut songer sans oser imaginer qu’un jour elles existeraient dans un monde réel, l’espace de deux petites heures.

Elles furent composées et dédiées au Pape Paul V, dans l’espoir pour le musicien d’obtenir un nouvel emploi qui lui permettrait de quitter Mantoue. Synthèse entre style antico et style nuovo, ces Vêpres parviennent à une harmonie qui les fait miroir des âmes, passage entre un monde ancien et un monde nouveau, où tout se transforme sans jamais vraiment disparaître, où le passé devient avenir vivant.

En 1989, Gardiner enregistrait une version de référence, en la Basilique San Marco de Venise, dont Monteverdi fut le maître de chapelle. Ce soir, il comble toutes nos attentes par un équilibre hors du temps, permettant d’entendre un chœur d’une subtile délicatesse dans certains moments de grâce intime, comme Nigra Sum et Duo Seraphim, ou d’une énergie à la fougue apollinienne resplendissante, comme dans Laudate pueri et Magnificat.

Alors que l’acoustique du lieu n’est pas forcément facile, il en magnifie l’espace. Alchimiste du son, il en maîtrise toutes les possibilités et réalise des effets de perspectives saisissants. Utilisant aussi bien la tribune royale que celle de l’orgue, et toutes les nuances au sein du chœur et de l’orchestre à la limite du pianissimo quasi inaudible au fortissimo le plus tellurique, sa direction souple ouvre l’espace, brise toutes les résistances, y compris celle des cœurs les plus fermés. Chaque instant est pure extase musicale. Nigra Sum, Pulcra es, Duo Seraphim démontrent que le Monteverdi Choir n’est pas seulement un chœur homogène, mais des solistes virtuoses le composent, qui, par des timbres riches et une éloquence dramatique, subliment une œuvre qu’ils font vibrer avec passion.

Le Duo Seraphim est probablement, l’instant le plus magique de ce concert. Les trois ténors répartis sur les deux tribunes, avec chacun un théorbe, ouvrent les voutes vers l’infini. Les anges dorés de l’hôtel, dont les ailes soyeuses et virevoltantes semblent emporter la musique vers les cieux, et ceux peints au-dessus de l’orgue, viennent joindre leur voix dans un chant d’éternité.

Comment ne pas regretter que ce moment ne fasse pas l’objet d’un enregistrement ! Jamais l’inscription d’un lieu au patrimoine mondial de l’Unesco n’a été aussi évidente qu’en cette soirée où une musique si humaniste, don d’un cœur qui bat en partage, est venue en révéler toute les beautés. John Eliot Gardiner est un maître joaillier qui cisèle la musique non seulement avec élégance et fougue, mais avec générosité.

MP