Chroniques

par laurent bergnach

Variations for Vibes, Pianos, and Strings
chorégraphie d’Akram Khan

Cité de la Musique, Paris
- 22 mars 2006
Variations for Vibes, Pianos, and Strings, chorégraphie d’Akram Khan
© hugo glendinning

Le travail de Steve Reich a plus d'une fois inspiré celui des danseurs ; Arte nous le rappelait récemment en programmant Fase, première chorégraphie d'Anne Teresa De Keersmaeker, créée en 1982 et constituée de quatre morceaux écrits entre 1966 et 1972 – Piano Phase, Come Out, Violin Phase et Clapping Music. Sextet, proposé ici par leLondon Sinfonietta, résulte d'une double commande de la compagnie Laura Dean Dancers and Musicians et du Gouvernement français ; sa première version fut créée au Centre Pompidou le 19 décembre 1984, puis révisée l'année suivante pour sa présentation à Brooklyn. Œuvre pour percussions, pianos et synthétiseurs, Sextet opère le métissage d'une musique africaine avec des techniques occidentales. Si le son de balafon des trois marimbas domine les cinq mouvements enchaînés, on entend également deux archets qui glissent le long des lames du vibraphone, des coups délicats sur les grosses caisses ou des manches de baguettes se heurtant en mesure. Sans doute à cause de la régularité des effets et de l'excellence de l'interprétation, la pièce nous parut bien lisse. À l'inverse, le piano de John Constable et Shelagh Sutherland apportait une énergie brute, un son granuleux plus à notre goût, ce soir.

À part une horloge suisse, quoi de plus minimal et répétitif que le bruit d'un train filant à toute allure ? Reich a onze ans quand ses parents se séparent ; le père reste à New York, la mère s'installe à Los Angeles et le jeune Steve, accompagné de sa gouvernante Virginia, traverse maintes fois les États-Unis d'une côte à l'autre, dans les années 1939 à 1942. Avec l'âge, se souvenant de ces voyages « excitants et romantiques », le compositeur réalise que s'il avait été en Europe à la même période, en tant que juif il aurait voyagé dans « des trains bien différents ». Different Trains résulte d'une commande du Kronos Quartet et fut donnée pour la première fois le 2 novembre 1988, à Londres – puis enregistré pour le label Nonesuch. Entendre en salle ce classique de la fin du XXe siècle est toujours un plaisir car il donne du relief à la voix des divers témoins de l'époque – Virginia, un retraité de chez Pullman, des rescapés de l'Holocauste –, matériau de base pour le jeu du quatuor. L'alto et le violoncelle y font preuve d'une grande âpreté, tandis que les violons, aux crissements occasionnels, se chargent d'entretenir la tension. Le final a quelque chose d'apaisant et de suranné, comme si, détaché de l'ostinato, nous restions sur les rails, enveloppés par la fumée d'une locomotive disparaissant au loin.

Retour à la danse avec Variations for Vibes, Pianos, and Strings (2005) – partition pour quatre vibraphones, deux pianos et trois quatuors à cordes –, commande de l'European Concert Hall Organisation pour le London Sinfonietta et l'Akram Khan Compagny, dont c'est ici la création française. De l'aveu même du compositeur bientôt septuagénaire, l'œuvre en trois mouvements (rapide, lent, rapide) est assez traditionnelle et combine des traits récents de sa musique à de plus anciens – comme celui de « remplacer le vide avec le matériau mélodique tout en ajoutant des voix harmoniques en notes tenues à mesure que chaque variation progresse ». La pièce commence par l'installation de Gregory Maqoma à l'avant-scène. L'artiste salue le public puis, jouant l'hésitation, tente de présenter cette seconde partie de soirée avec des mots comme « harmonie entre les danseurs » ou « musique pleine de force », bref des lieux communs mi-ironiques, mi-naïfs auxquels le chef Brad Lubman finira par mettre un terme. À tour de rôle, Young Jim Kim, Gregory Maqoma et Akram Khan proposent un solo caractéristique aux gestes ondulants ou cassés, où le tournoiement sur soi-même sert de fil rouge, avant d'aborder duos et trios. Oui, mieux vaut regarder la danse que d'en parler, mais il faut bien s'avouer gêné par ces mouvements d'ensemble approximatifs : trapu et nerveux, Khan devance d'un quart de seconde ses partenaires au corps plus élancé. À moins qu'il s’agisse d'un hommage subtil aux décalages reichiens des années soixante…

LB