Chroniques

par bertrand bolognesi

Vanitas
nature morte en un acte de Salvatore Sciarrino

Münchner Opernfestspiele / Reithalle, Munich
- 19 juillet 2018
Marzia Marzo dans Vanitas (1981), nature morte signée Salvatore Sciarrino
© wilfried hösl

À Milan, le 11 décembre 1981, le mezzo-soprano Daisy Lumini, le violoncelliste Arturo Bonucci et la pianiste Gabriella Barsotti créaient Vanitas, natura morta in un atto de Salvatore Sciarrino, dans une mise en scène de Pier' Alli où évoluaient cinq mimes. Pour le livret de cette œuvre hybride, à la frontière du théâtre, de la musique et du récital de poèmes, le compositeur a puisé dans les vers de Giovan Battista Marino (1569-1625), Robert Blair (1699-1746), Jean de Sponde (1557-1595), Martin Opitz von Boberfeld (1597-1639), Giovan Leone Sempronio (1603-1646), Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen (1622-1676) et Johann Christian Günther (1695-1723). Dans le cadre du Festispiel-Werkstatt dont nous relations dimanche soir Die Vorübergehenden de Nikolaus Brass [lire notre chronique du 15 juillet 2018], la metteure en scène Giulia Giammona se saisit de Vanitas. Elle est entourée par la scénographe Linda Sollacher et Benedikt Zehm pour la création des lumières.

Cette quatrième soirée au Münchner Opernfestspiele nous mène donc une nouvelle fois à la Reithalle, ancien manège dont la scène est aujourd’hui anarchiquement balisée de tournesols noirs qu’une pénombre savante laisse à peine deviner. Le violoncelliste Yves Savary et le pianiste Jean-Pierre Collot sont installés à gauche du plateau, les deux autres tiersétant réservés au jeu – il faut écrire en italique, car l’opus, comme bien des pages de Sciarrino, théâtralise la musique sans être vraiment du théâtre. Il induit clairement l’idée d’un théâtre intérieur, propre à l’artiste sicilien, qui entre en relation avecd’autres expressions artistiques. De fait, si le titre, Vanitas,emprunte aux Écritures, c’est dans la peinture des maîtres anciens qu’on rencontre le plus souvent le terme, désignant de méditatives natures mortes, volontiers mises en perspective par un crâne humain (sans systématisme).

Tandis que le mezzo-soprano Marzia Marzo, longue toge écrue, visage et bras peints comme en poussière de marbre, fait son entrée dans une discrète solennité, le violoncelle introduit l’accord du piano, référence suspendue à Stardust, chanson de Carmichael Hoagy (1899-1981) célèbre en son temps (1927), bientôt traitée par anamorphose. Comme à son habitude, Sciarrino pense l’obscur, le silencieux, l’éphémère et même le vide, ce qui n’échappe pas aux maîtres d’œuvre de ce spectacle tant court qu’intense. Ici, point d’arrêt sur image comme le pourrait suggérer le matériau sciarrinien, mais au contraire une transformation continuelle de la chanteuse, sous l’intervention complice de trois figurantes grimées de même. Bien qu’elle demeure secrète, une dramaturgie s’insinue et ne lâche jamais prise, durant les quelques cinquante-cinq minutes de Vanitas. La brièveté de cette œuvre singulière entre elle-même en résonnance avec son sujet, les émotions se succédant sur la fugacité de la vie – ainsi le parfum de la rose qui ne saurait durer.

Deux longues cannes noires aident la chanteuse à se mouvoir. Reliées à ses poignets par un ruban, elles sont bientôt actionnées par les trois silhouettes féminines, comme les tiges métalliques d’un grand pupi à taille humaine. De même que la musique manipule subtilement ses emprunts (poèmes et référence à la chanson), la marionnette est délicatement animée. Les bandes verticales qui forment la robe sont peu à peu décrochées, les tournesols du décor bougent à peine (on peut ne pas s’en apercevoir), puis, affranchie de ses guides, la voix meurt dans la descente aux abysses du violoncelle. Quelques minutes sont nécessaires au public, fasciné, afin d’en quitter le charme et l’émotion et d’applaudir une première de toute beauté.

BB