Chroniques

par bertrand bolognesi

Vadim Repin, une épopée violonistique
Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Valery Gergiev

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 10 décembre 2005
le grand violoniste Vadim Repin joue trois opus concertants le même soir
© kasskara | deutsche grammophon

Dans le cadre d'une Carte blanche commencée le 14 novembre, le violoniste sibérien Vadim Repin, en compagnie de ses amis Bruno Canino (piano) et Alexandre Kniazev (violoncelle) a fait sonner son Ruby de 1708 (Stradivarius) à Strasbourg, Toulouse, Lille, Nancy et Bourges, une tournée que conclut le concert de ce soir, avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France.

Comment ces choses se passent-elles d'habitude ? Eh bien, l'orchestre joue une pièce introductive, par exemple une ouverture ou un bref poème symphonique, puis le soliste gagne le plateau où interpréter un concerto qui ponctue la première partie du programme, achevé enfin par une symphonie qui offre la vedette au chef. Ce soir, rien de tout cela : Vadim Repin et Valery Gergiev entrent tous deux en scène dès l'abord pour exécuter rien moins que trois œuvres concertantes – un véritable marathon violonistique de près de cinquante minutes !

Et dès la brève mélodie introductive de l'Allegro moderato du Concerto en sol mineur Op.26 n°1 de Max Bruch, l'on sait qu'ici, il n'y aura pas une note non pensée, non justifiée, que toute musique sera rendue salutairement nécessaire par une présence exceptionnelle. Avec la plus riche pâte sonore d'aujourd'hui, une respiration d'une sensibilité raffinée, des attaques d'une suavité remarquable, Vadim Repin donne une interprétation à couper le souffle de cette page composée en 1866 pour le grand Joachim. L'Adagio révèle une tendresse sans affèterie, un travail de nuances relevant parfois de la prise de risques, et un chant toujours fabuleusement conduit. La sombre jubilation qui traverse l'Allegro energico est articulée avec une hargne cependant jamais inélégante. Au pupitre, le patron du Mariinski tire une éloquence active des cordes du Philhar', soulignant juste ce qu'il faut le caractère de l'œuvre.

D'abord intitulé Chant de l'amour triomphant en référence à une nouvelle de Tourgueniev, le Poème Op.25 d'Ernest Chausson fut achevé au printemps 1896 et créé l'hiver suivant par Ysaÿe, son dédicataire, autre « grand »d'alors. Valery Gergiev pose dès les premières mesures un climat de ténèbres comme on l'entend rarement dans cette œuvre. Tout en opérant une idéale mise en relief des soli (clarinette, flûte et violoncelle, entre autres), sa lecture développe à la fois l'héritage wagnérien et une couleur tout à fait française. L'entrée à cru du violon se fait dans une délicate pudeur, Repin affirmant ensuite un phrasé nettement lyrique caractérisé par une vocalité lumineuse, avant d'offrir une prodigieuse égalité d'impact sonore à la plainte retenue qui clôt cet opus. Sans conteste, nous touchons la clé de voûte du concert.

C'est la Carmen-fantaisie (1946) de Franz Waxman – célèbre compositeur du septième art : citons Sunset Boulevard de Wilder (1950), par exemple, ou Rebecca d’Hitchcock (1940) –qui, sur les thèmes de l'opéra de Bizet, achève cette passionnante Épopée Repin. Avec génie violoniste et chef parviennent à décliner la virtuosité requise tout en nourrissant le propos concertant d'une inspiration tout droit venue du rôle dramaturgique des thèmes utilisés. Nous admirons leur étonnante mobilité dans les climats, le plaisir s'attardant plus ponctuellement sur les harmoniques exquisément flûtées de l'énoncé des Remparts de Séville (une petite merveille !) ou sur la confondante légèreté avec laquelle Vadim Repin se joue de l'infernal accelerando du final, du reste parfaitement maîtrisé par l'orchestre. Et – sans doute parce que ce programme pourrait sembler trop court… – cette conclusion échevelée sera « bissée ».

La soirée se poursuit avec la Symphonie en ré majeur Op.73 n°2 de Johannes Brahms. Dans son premier mouvement, Valery Gergiev présente un travail de dynamique soigné et précis, sur une articulation relativement lyrique, tout en restant prudent. Dans des accents et Sforzati d'une grande profondeur, jamais uniquement puissants, à l'allemande, mais aussi musclés, et dans le lustre qu'il accorde aux cuivres, on reconnaît les volutes de sa signature. Très enchaînée, et ne perdant pas un fil de son propos, sa lecture s'engage dans un Adagio plus dramatique, avant de donner libre cours à une excitante vitalité pour l'Allegretto, à laquelle Gergiev oppose finement la tendresse des bois. Pour finir, sa version du dernier mouvement est plus contrastée, certes animée d'un grand souffle, mais souvent brutale (lesfortissimi laissent au bord du chemin de nombreux détails d'orchestration).

BB