Chroniques

par jorge pacheco

Václav Luks dirige Collegium 1704
Johann Sebastian Bach | Messe en si mineur BWV 232

Chapelle royale, Château de Versailles
- 20 décembre 2012
l'orchestre tchèque Collegium 1704 avec son chef Václav Luks
© luděk sojka

La Chapelle royale ferme son année musicale 2012 avec l'imposante Messe en si mineur de Johann Sebastian Bach, seule œuvre d'inspiration catholique dans l'immense catalogue sacré du compositeur luthérien. Composée entre 1733 et 1748 à partir de pièces séparées, cette messe latine est dédiée au Prince Électeur de Dresde qui dans sa cour (catholique) possédait un excellent orchestre. Collegium 1704 (ensemble et chœur) jouent comme d'habitude sous la direction de son fondateur Václav Luks dont la renommée reste liée à la redécouverte du compositeur tchèque Jan Dismas Zelenka, phénomène qui a probablement un intérêt aussi patriotique qu'historique, mais qui n'est pas sans mérite.

La joie que suscite en nous l'idée d'une visite musicale au château royal est d'emblée atténuée par l’administration inefficace des espaces d'accès, d'autant que le soir même se tient, dans le tout proche salle de l'Opéra royal, une représentation du ballet Coppélia. « Excusez-moi monsieur », « permettez-moi madame », « je vous en prie jeune homme » : bien qu'en gants de soie et en manteau de fourrure, la bousculade n'est pas des moindres. Les annonces à vive voix des appariteurs pour rappeler aux vénérables spectateurs qu'il n'y aura pas d'entracte et leur conseiller de réclamer leur verre de champagne avant le début du spectacle n'aident en rien à faciliter la circulation, surtout lorsque l'heure est proche. Aussi le concert commence-t-il avec une bonne vingtaine de minutes de retard.

Collegium 1704, qui joue sur des instruments d'époque, nous étonne par son homogénéité, notamment celle des cordes. Discrets et expressifs, les violons constituent une section de luxe. En respectant de manière millimétrique les coups d'archet de leur excellent concertmeister et en arborant savamment un délicat vibrato qui vient occasionnellement arrondir le son, ils dégagent toujours sobriété et élégance.

Très peu favorisé par l'acoustique des lieux, l'ensemble des bois est bien moins convaincant. Les bassons sont un murmure indémêlable dans le grave, les flûtes sonnent faiblement dans les doublures et presque pas quand leur rôle est d'accompagner, les hautbois sont à peu près bien définis, mais en l'absence de leurs compagnons leur ligne semble étrange et peu ficelée. Il en est bien sûr tout autrement quand il s'agit des solos : débout, flûte et hautbois se laissent mieux entendre et font avec éloquence preuve d'une excellente maîtrise du son et d'une profonde connaissance du style. En revanche, même dans ce cas les bassons restent fâcheusement flous et sont totalement noyés par les violoncelles. Enfin, nous n'aurons que des louanges pour les deux trompettes, héroïques, brillantes et très justes, ainsi que pour le cor naturel qui aborde le redoutable solo du Quoniam avec une naturalité remarquable.

Côté chanteurs, le panorama est tout aussi varié.
Assis au fond, les solistes font le trajet jusqu'au chef pour chacune de leurs interventions, ce qui induit de nombreux déplacements et de longues minutes de pause pas toujours respectueuses de la continuité musicale (par exemple entre le Kyrie et le Christe). Hana Blažíková est la seule à risquer un double rôle et se place parmi les sopranos du chœur, même après ses apparitions solistes. Son chant et son expression sont sobres et sa voix brille surtout par la douceur et l’homogénéité dans tous les registres. Sophie Harmsen (mezzo) ne convainc pleinement qu'à la fin avec un Agnus Dei dont la prière s'élève douce et sincère, touchant un auditoire totalement subjugué. Tomáš Král est remarquable dans son Et in Spiritum Sanctu, mais sa belle voix de basse semble par moments lointaine et faible. Le ténor Markus Brutscher est sans doute le mouton noir du groupe : non content d'exagérer l'expression de sa voix au point de l'accentuer improprement et de casser le timbre dans l'aigu, il s'obstine, quand la partition réunit les quatre solistes, à boycotter l'ensemble, voulant toujours être plus présent que les autres et se faire remarquer. On le verrait mieux dans un rôle d'opéra florentin qu'en porte-parole du texte liturgique, tant il semble ne pas comprendre un mot de ce qu'il chante.

Václav Luks dirige d'une manière assez hétérodoxe.
Ses mouvements ne sont pas d'un grand raffinement, comme le démontrent une tendance constante à s'incliner jusqu'à ne laisser que la tête dépasser du pupitre et une prédilection pour la double levée. À vrai dire, les plus malveillants l'identifieraient aisément à Mr. Bean en proie à une attaque d'épilepsie, mais l'on ne saurait nier que le résultat sonore est en tout point travaillé.

En fin de soirée l'ovation est unanime et se prolonge longuement. La bousculade de sortie, à laquelle s'ajoutent les musiciens avec leurs instruments respectifs, est apparemment décrétée d'office car seules de petites portes latérales permettent la circulation. Ceux qui en évitant la foule se pressent vers le train du retour à Paris sont bien surpris, ne retrouvant là plus personne. Nous attendons déjà le moment de revenir à Versailles pour d'autres soirées baroques, notamment à partir du 19 janvier avec l'opéra King Arthur de Purcell [lire notre chronique du 28 mars 2009] interprété par Le Concert Spirituel.

JP