Chroniques

par bruno serrou

Une flûte enchantée
spectacle de Peter Brook

Festival d’Automne à Paris / Théâtre des Bouffes du Nord
- 26 novembre 2010
Une flûte enchantée, spectacle de Peter Brook, d'après Mozart et Schikaneder
© dr

Une Flûte enchantée… Une flûte parmi d’autres ? Plutôt une certaine vision de La Flûte enchantée de Mozart et Schikaneder, revue, corrigée à tous les niveaux : musique, livret, forme, fond. Néanmoins, voilà du bon théâtre ! De l’excellent, même. La direction d’acteur est fine et intelligente, les protagonistes jouent avec un naturel et une évidence suprêmes.

Mais ce qui est bon pour le théâtre s’avère néfaste à la musique. Pour ses adieux à la direction du Théâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Peter Brook a choisi Mozart, douze ans après Don Giovanni au Festival d’Aix-en-Provence, et, surtout, de revenir sur un concept qu'il a initié dans les années 1980-1990, déjà aux Bouffes : travailler de longs mois durant avec une troupe de jeunes chanteurs sur des opéras qu’il revisite. Ainsi cette Flûte enchantée précédée de l’article indéfini « une » et suivie de l’indication « d'après Mozart et Schikaneder », procède-t-elle de La Tragédie de Carmen (1981) et d’Impressions de Pelléas (1992), mais sans la participation de Marius Constant, mort en 2004, qui avait réalisé de géniales adaptations des partitions de Georges Bizet pour ensemble de quinze instruments et de Claude Debussy pour deux pianos et un percussionniste. Il faut ici se contenter d’un crapaud joué par l’arrangeur, le compositeur Franck Krawczyk, et de l’absence de tout instrument complémentaire, particulièrement de vents qui manquent terriblement dans cet œuvre dont l’original est riche à foison (et pas seulement le pupitre de flûte), tandis que les harmoniques du petit piano sont limitées, ce qui suscite rapidement la lassitude.

Ce ressenti est amplifié par les trop nombreuses coupures, opérées à la serpe, qui, côté texte, font abstraction de la véritable dimension initiatique de l’œuvre – qui ne dure plus qu’une heure quarante (davantage il est vrai que La Tragédie de Carmen, une heure vingt, et qu’Impressions de Pelléas, une heure trente cinq). Se mouvant au sein d’une scénographie simple mais efficace constituée de bambous, bien éclairée par Philippe Vialatte, la distribution alternée est dominée ce soir par l'émouvante Pamina de Lei Xu et le séduisant Tamino d’Adrian Strooper. Malia Bendi-Merad campe une belle Reine de la Nuit, Thomas Dolié un bon Papageno, mais le Sarastro de Luc Bertin-Hugault manque de basses.

Constitué pour l’essentiel d’amateurs de théâtre, le public est conquis, faisant fi de l’original, riant volontiers aux jérémiades de Papageno et aux facéties de Papagena. Mais, quoique ravi de la proximité des chanteurs qui se meuvent à quelques centimètres de lui pour le plus proche de l’action, le mélomane sort frustré de ce spectacle, certes séduit par le travail du metteur en scène mais déçu par le traitement infligé au pénultième opéra de Mozart, réduit ici à une simple bluette initiatique… à l’on ne sait pas trop quoi.

BS