Chroniques

par bertrand bolognesi

une cantate imaginaire
Orfeo 55 joue Johann Sebastian Bach

Nathalie Stutzmann, Chevalier de l’ordre national du mérite
Arsenal, Metz
- 13 décembre 2012
Natrhalie Stutzmann et Orfeo 55 à Metz : Chevalier de l'Ordre national du Mérite
© cyrille guir

Trois ans… voilà trois ans que le contralto Nathalie Stutzmann fondait son propre orchestre de chambre, Orfeo 55 [lire notre chronique du 5 mai 2011], dès les premiers temps en résidence « chez elle », c’est-à-dire en Lorraine (Nancy), et plus précisément à l’Arsenal de Metz où elle enregistrait en avril le CD Bach, une cantate imaginaire paru cet automne chez Deutsche Grammophon, dont ce concert reprend en partie le menu.

Durant une bonne heure et demie, une vingtaine de musiciens s’exprimant sur instruments anciens, mais pas seulement, prennent le public par la… non, par l’oreille (plus juste) dans un parcours Bach conçu par la chanteuse, puisant dans cantates, passions et ouvertures (sinfonie) de quoi témoigner d’une certaine vision qu’elle souhaite transmettre du Cantor : un homme à la grande spiritualité, n’en doutons pas, mais encore un homme « tout court », profesionnel parfois impulsif, père de famille, bon vivant, traversé de multiples affects dont son œuvre, d’une manière ou d’une autre, ne saurait totalement s’abstraire. À cette volonté-là s’associe celle de livrer les influences qui marquèrent sa musique : ainsi cette rigueur de construction issue de la tradition nordique rencontre-t-elle une vitalité italienne et une clarté d’expression française.

Alternant les extraits vocaux et instrumentaux, le programme s’inscrit dans un optimisme méditatif, si l’on peut dire. Après la vivacité de la Sinfonia BWV 42 l’air Getrost ! (cantate Ich freue mich in dir BWV 133) impose d’emblée une proximité fascinante avec le texte. Dans Wie furchtsam wankten meine Schritte (cantate Allein zu dir, Herr Jesu Christ BWV 33), Nathalie Stutzmann installe un legato d’un « confort exact », au service d’une dynamique sensiblement conduite. L’opposition entre fluidité du thème et robustesse affirmée du motif rythmique fait mouche dans la Sinfonia BWV 18, tandis qu’à la flûte Peter Lunel introduit en grande élégance Kommt, ihr angefochtnen Sünder (cantate Freue dich, erlöste Schar BWV 30) dont assurément la voix crée l’envie de la suivre (« venez, brebis égarées… »).

Ce chemin dans la grande vastité (employons à dessein ce mot ancien à double-sens), la cheffe prit également soin de le penser en saine complicité avec ses musiciens auxquels ils donnent volontiers la parole plutôt qu’un rôle « accompagnant ». Ainsi de Jesus ist ein guter Hirt (cantate Ich bin ein guter Hirt BWV 85) qui associe un violoncelle omniprésent au chant sainement simple du sujet (bon pasteur). À la glorieuse Sinfonia BWV 174 de conclure la première partie !

Une légèreté toute händélienne soutient la trame organistique (Giulia Nuti) de la Sinfonia BWV 35, à la joyeuse gravité qui, peut-être, invite un autre ton pour cette seconde partie de soirée. Après la très brève Sinfonia BWV 4, l’air Stirb in mir (cantate Gott soll allein mein Herze haben BWV 169) saisit l’écoute qu’elle mène loin, peut-être même à méditer un Christ-en-suicide (Βιαθανατος, Donne, 1647) qui interroge le « don » de la Crucifixion. De fait, Erbarme dich nous plonge dès ensuite dans la Matthäus Passion BWV 244, ici largement respiré, dans la lumière du violon. La tendresse extrême du hautbois solo (Emma Black) apaise la Sinfonia BWV 21 dans un faux air de Benedetto Marcello, tandis que Nichts kann mich erretten (cantate Wer mich liebet, der wird mein Wort halten BWV 74) signe le concert dans une tragique santé… vraiment ? non, Nathalie Stutzmann et Orfeo 55 offrent deux bis, refermant ce moment avec la célébrissime Sarabande de la Suite BWV 1068, profondément recueillie.

La soirée est loin d’être finie : après avoir été élevée au rang de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, il y a une dizaine d’années, ce sont les insignes de Chevalier de l’Ordre national du Mérite que Nathalie Stutzmann reçoit des mains d’Aurélie Filippetti, notre Ministre de la Culture et de la Communication.

BB