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Chroniques
Une éducation manquée, opéra d’Emmanuel Chabrier
La voix humaine, opéra de Francis Poulenc
Signant de temps à autre une mise en scène, René Kœring semble déjà souffrir de l’épuisement de ceux qui en réalisent trois ou quatre par saison, comme en témoigne le symptomatique retour de tics remarqué dans ses précédents essais. Le jardin contemporain où se déroule Une éducation manquée pourrait bien être une dépendance de La vedova scaltra [lire notre chronique du 25 avril 2004] et du Segreto di Susanna, tout comme le sadisme de la présence de Gontran, à la fin de La voix humaine, met le spectateur face à des amours tortueuses façon Florentinische Tragödie [lire notre chronique du 2 mars 2007]. Jusqu’à présent, tout au moins y avait-il une certaine cohérence dans le traitement des ouvrages montrés dans ces univers particuliers. Mais le maître d’œuvre impose cette fois une lecture personnelle au point de nier le matériau d’origine, de sorte qu’on se demande s’il est prétexte à un impérieux besoin d’expression qui se tromperait de médium.
En témoigne le peu de cas qu’il fait du texte de Cocteau comme de la musique de Poulenc, Kœring préférant user de la sonnerie électronique d’un mobile d’aujourd’hui plutôt que de laisser retentir celle concoctée par le compositeur. Détail, direz-vous ? Pas tant que ça, s’il faut en venir à justifier des choix capricieux par une dramaturgie alambiquée qui ne tient pas la route. Et là, Kœring sent bien les limites de son option, puisqu’il lui faut corriger le texte. Certes, La voix humaine comme Une éducation manquée, renvoyant à d’autres temps, pourront paraître désuets. Si l’on ne peut se transporter soi-même sous la troisième République ou dans les années trente afin d’y emmener le public, sans doute la solution est-elle bien de déplacer ces époques vers la nôtre. Encore faut-il que les pièces s’avèrent actualisables. Celles-ci sont trop précisément datées pour qu’une telle idée soit efficace. Alors, pourquoi les avoir choisies ? Plus qu’à répondre, il appartient à la critique de poser des questions, même lorsque l’indigence constatée nécessite qu’on ait l’air d’enfoncer des portes ouvertes.
Fort heureusement, les productions vues cet après-midi accusent également quelques qualités. Tout d’abord, celle d’avoir préféré les versions originales pour piano, bien qu’approximativement jouées par Federico Santi. Ainsi Une éducation manquée renvoie-t-elle directement au climat des salons bourgeois où l’on faisait de la musique le dimanche – nouvelle contradiction avec la mise en scène, penserez-vous ; c’est que vous pensez juste, vous –, de même que le piano lapidaire de La voix humaine pourrait bien être sur le plateau avec cette femme qu’il exécute en redoutable intimité.
Enfin, celle d’avoir su réunir une distribution tout à fait honorable.
Sarah Pagin y est un Gontran irréprochable, Jean-Marie Frémeau un Pausanias un peu fatigué mais parfaitement crédible, tandis qu’Andrea Hill convainc largement en Hélène. Surtout, malgré le cadre malheureux où il lui faut se produire, Barbara Haveman livre une Voix humaine bouleversante. Le timbre enveloppe, l’expressivité se déploie, la présence scénique happe, jusqu’à ce très léger accent étranger qui, loin d’entraver une diction exemplaire, rend le personnage plus touchant encore. Elle fera gagner l’œuvre, finalement, sur cette mise en scène par défaut.
BB