Chroniques

par marc develey

un nouveau timonier à la barre
Philippe Jordan joue Ligeti et Strauss

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 14 novembre 2009
© johannes ifkovits

C’est avec une intensité toute tissée d’étrangeté que le Concerto pour violon de György Ligeti nous a pourtant plongés au cœur de ses labyrinthes. Le violon d’Isabelle Faust, subtil au Praeludium dans ses pianississimi et ses aigus d’oiseaux chanteurs, sert l’ouverture de l’Aria d’une matière plus sombre et riche, qu’on dirait d’alto. La réponse du concertino de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris porte l’élégie à un beau niveau d’intensité, jusqu’au moirage progressif du son et l’entrée atonale des ocarinas. La facture rappelle parfois l’articulation d’un XIXe siècle français. Plus tard, le Choral, si religieusement ouvert par les clarinettes et l’hyper-aigu du violon, bénéficie, sous la direction précise de Philippe Jordan, d’une patiente et progressive anastomose de ses tissus sonores, opération quasi chirurgicale et néanmoins comme amoureuse. Dans sa quête de la limite du son, l’orchestre double la sensualité souple de l’instrument soliste d’une touche d’austérité marquée par des séries de gammes ascendantes. Outre l’atmosphère mystérieuse de l’interprétation, touche plus particulièrement l’attention à la diversité des cellules mélodiques, ritournelles joliment énoncées ou phrases quasi-mahlériennes. Une coda liquide clôture l’ensemble.

Ces belles qualités ne trouvent pas leur écho dans le poème symphonique de Richard Strauss. Sans doute avons-nous trop encore en oreille l’interprétation jubilatoire qu’en octobre dernier donnait Gustavo Dudamel de cette Alpensinfonie Op.64 [lire notre chronique du 24 octobre 2009]. Sans doute sommes-nous trop prévenus par une proposition qui, pour n’avoir que peu des qualités de détail de celle que nous offre Philippe Jordan, était animée d’un souffle et d’un engagement que la performance un peu sage du chef suisse n’approche très certainement jamais.

Une certaine raideur, voire brutalité d’ensemble, couplée à la juxtaposition forcée des épisodes, ne sait porter le son au degré d’intensité d’une œuvre destinée, dans son motif premier, à célébrer la tragédie de l’artiste, avant qu’en soit retenu le thème symbolique de la montagne. Fit-on même ici l’ascension d’une colline – et laborieusement encore (Aufstieg poussif) ? Ni le Sonnenaufgang, ni l’Auf dem Gipfel, ni le Gewitter und Sturm n’ouvrent au sentiment d’une réalisation, pas plus qu’ils ne semblent organiquement rattachés au reste de la partition. On n’insistera pas : si l’interprétation montre quelque qualité, ce n’est pas au service du propos. Sans doute l’orchestre assure-t-il le bonheur de quelques traits - phrasés de hautbois et de violon, aisance sensuelle des violoncelles, mesure de certains effets, consistance des plans sonores. Cela ne nous rassasie pas.

MD