Chroniques

par bertrand bolognesi

UBS Verbier Festival Orchestra
Revueltas, Berio et Stravinski par Gustavo Dudamel

Verbier Festival and Academy / Médran
- 30 juillet 2005
le jeune chef vénézuélien (24 ans) dirige l'UBS Verbier Festival Orchestra
© dr

Parce que le Verbier Festival and Academy entend se donner les moyens des promesses qu'il se fait, il créa, il y a cinq ans, un orchestre réunissant quelques cent dix instrumentistes âgés de dix-sept à vingt-neuf ans venus d’une trentaine de pays différents : l'UBS Verbier Festival Orchestra, dont la direction artistique fut alors confiée à James Levine. La formation travaille principalement durant l'été, bien sûr, mais non exclusivement puisqu'elle effectue des tournées tout au long de l'année.

Pour son quatrième concert dans le cadre de l'édition 2005 du festival suisse, elle devait être menée par Esa-Pekka Salonen qui, souffrant, annula. C'est donc un chef vénézuélien de vingt-quatre ans qui le remplace, lauréat du concours de direction d'orchestre du Bamberger Sinfoniker, qui put travailler aux côtés d'aînés comme Abbado, Barenboïm ou Rattle, et auquel la saison prochaine offre déjà quelques prestigieux concerts à la tête de la Philharmonie de Stockholm, du Los Angeles Philharmonic ou encore du City of Birmingham Symphony Orchestra.

Arrivé avant-hier, Gustavo Dudamel a maintenu les deux pièces maîtresses du programme imaginé par Salonen, qu'il ouvre par Sensamayá de Revueltas au lieu de l'Exquisite Corps d’Anders Hillborg initialement prévu. Le compositeur (et violoniste) mexicain Silvestre Revueltas demeure peu joué en Europe, malgré une production fort intéressante où se mêlent les influences de Stravinsky et de Varèse, dans un univers sonore qui inspira l’Argentin Ginastera, de dix-sept ans son cadet. En 1938, il écrivit Sensamayá, puisant dans les racines du Mexique, une œuvre tout à fait représentative de son souhait d'une musique classique populaire partagé par son strict contemporain Chávez qui, lui aussi, reprit plus d'un schéma rythmique et d'un modèle de développement à des traditions ancestrales amérindiennes. L'année suivante, Revueltas composait La Noche de los Mayas, quatre mouvements qui deviendraient les plus célèbres de l'ateur, avant de mourir, rongé par l'alcool, en 1940, à quarante et un ans.

Gustavo Dudamel présente une lecture extrêmement précise de Sensamayá, profitant de chaque timbre tout en installant une progression rythmique parfaitement roborative. On remarque un jeune homme conscient d'une exigence de lisibilité qui le rend d'une sobriété gestique exemplaire, concentrant toute son énergie avec une stupéfiante efficacité. Rien de tel qu'un fortissimo pour tester un chef : au plus fort dututti, comme les très grands, celui-ci parvient à faire sonner le moindre détail – un art que certains n'atteignent qu'après des années de métier… d'autres jamais.

Suivent les Folk Songs de Luciano Berio auxquelles l'orchestre offre un fort beau travail chambriste. Le mezzo-soprano Malena Erman révèle tout d'abord les harmoniques graves de sa voix, dans Black is the colour, s'avérant un rien terne dans I wonder as I wander, pour finalement libérer une véritable plénitude vocale avec Loosin yelav. Elle affirme ensuite le lyrisme du rossignolet du bois, développant une expressivité bienvenue dans A la femminisca, pour souligner enfin la profondeur de La donna ideale. À partir de Balo, la voix, tout-à-fait chaude, et l'artiste magnifiquement engagée dans cette musique, feront des quatre chansons suivantes autant de pantomimes délicieuses, jusqu'à l'insolente Azerbaijan love-song où l'artiste s'avère irrésistiblement drôle. Cette œuvre ne pardonne rien aux chefs de pupitres : ici, chacun tire parti de cette caractéristique pour montrer de fort appréciables qualités, tant techniques que musicales.

Moins convaincant se révèle L'Oiseau de feu (Stravinsky), souvent maladroitement appuyé, dans une articulation parfois « saucissonnée ». Mais Gustavo Dudamel s'ingénie à une prudence sans doute salutaire, quitte à rendre l'exécution peut-être un rien scolaire, mais en tout cas toujours en place, ce qui n'est jamais gagné avec fort peu de répétitions et un orchestre d'élèves. On goûte cependant un Lever du jour réellement splendide, après avoir vu les Princesses jouer avec les pommes d'or. Le public parisien pourra faire connaissance avec l’interprète vénézuélien cet automne (le 4 novembre exactement), puisqu'il dirigera l'Orchestre Philharmonique de Radio France à la maison ronde dans un programme où Villa-Lobos, de Falla et Carreño côtoieront Sensamayá, précisément.

BB