Chroniques

par bertrand bolognesi

trois grands concerti russes
Dmitri Liss et l’Orchestre Philharmonique de l’Oural

Arsenal, Metz
- 7 février 2010
© james mc millan

Une fois n’est pas coutume : c’est un programme de concerti que donne, cet après-midi, l’Orchestre Philharmonique de l’Oural. Pas de symphonie, nul poème symphonique, et, pour seul moment orchestral, la brève ouverture d’Oberon, l’opéra anglais de Carl Maria von Weber. Outre un moment de musique, ce concert est donné au bénéfice de l’action des Lyons Clubs de Metz visant à offrir cet été quelques jours de vacances à une cinquantaine d’enfants dont les familles n’en pourraient pourvoir le coût.

Dmitri Liss livre une lecture tendrement retenue des premières mesures de cette ouverture, n’en rebondissant que mieux dans le corps du mouvement, ferme à souhait, vigoureux, sans effets de manche. On appréciera au passage la qualité des cordes de son orchestre, et en particulier la grande fiabilité des contrebasses, tout comme un trait de clarinette d’une belle précision.

Enfin, les concerti.Trois monuments du XXe siècle russe vont se succéder ici. Tout d’abord le Concerto pour violon en sol mineur Op.63 n°2 de Sergeï Prokofiev, ouvert par l’archet expressif de Dmitri Makhtin bientôt rejoint par un orchestre à la sonorité comme prise dans le gel, dont on salue les bois idéalement mis en relief. Liss prend soin des équilibres pupitraux, tout en laissant se libérer le chant – un chant un rien contenu, car le soliste, pour exact et très fiable qu’il soit quant à la hauteur, possède un petit son. Du coup, le chef polit un peu trop les contrastes, gommant les aspérités de l’œuvre qui semble un brin sucrée. En revanche, la mélodie de l’Andante assai s’avère exquisément tendre, secondée par les pizz’ irréprochables du tutti de cordes, à comprendre dans le climat de Roméo et Juliette, le prochain opus du compositeur. Pour ménager des demi-teintes subtilement travaillées à travers les alliages pupitraux, l’Allegro conclusif manque d’éclat, de robustesse, mais aussi de profondeur.

Plus proche de nous dans le temps, le Concerto pour violoncelle en mi bémol majeur Op.107 n°1 de Dmitri Chostakovitch est dédié à Rostropovitch qui le créerait à Moscou le 4 octobre 1959. À la mémoire du petit père du peuple, trépassé le même jour que Prokofiev (5 mars 1953), il fait un sinistre pied-de-nez plein de ressentiment. La rugosité mafflue du jeu d’Alexandre Kniazev [photo] ravit immédiatement l’écoute. Le son est incroyablement riche, doté d’une palette dynamique inépuisable, infiniment cultivée, et d’une énergie rare. Le public est pris, sans aucun doute, par la terrible tension de cette interprétation dont le douloureux tapis de cordes du Moderato, sur lequel s’affirment les glaciales harmoniques du soliste, avant une lourde cantilène déchirante, constitue la clé de voûte de cette matinée. Grand souffle de l’orchestre, ici diablement inspiré. Le célesta dépose une rosée funèbre, tandis que le violoncelle engage sa Cadenza dans une couleur désolée, nue, et peu à peu se rebiffe rageusement, introduisant en fureur le dernier mouvement, méchante danse scandée Allegro con moto. Remerciant le triomphe que lui fait un public à juste titre fasciné, Alexandre Kniazev offre deux bis empruntant à Bach, dans une générosité indicible du son et une joie qui bouscule.

Initialement, le programme annonçait le Concerto pour piano en ut mineur Op.50 n°2 de Nikolaï Medtner – une absolue rareté, ce compositeur demeurant peu joué. À la place, on donne le Concerto pour piano en sol mineur Op.40 n°4 de Sergeï Rachmaninov, une œuvre strictement contemporaine de celle qui était prévue. Lorsqu’on aura dit que Medtner dédia son Second à Rachmaninov qui lui dédia son Quatrième… De ce concerto américain, pour ainsi dire, Boris Berezovsky donne une lecture impressionnante, techniquement parlant, mais ne respirant jamais, sculptant brutalement l’articulation jusqu’à la dureté. De même l’orchestre se laisse-t-il aller à un lyrisme relativement ampoulé qui situe la prestation du jour en deçà de l’enregistrement que cette équipe en grava récemment.

BB