Chroniques

par gilles charlassier

Trio Arte
la Sérénade en ut majeur Op.10 d’Ernő Dohnányi

Opéra de Dijon / Auditorium
- 16 octobre 2010
Dohnányi utca (avenue Dohnányi) à Budapest, photographie de Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

La musique de chambre, on le sait, est un répertoire souvent confidentiel. À l’heure où nombre de maisons d’opéra se compromettent en arènes de divertissement grand public, le raffinement de la musique pure reste, dans les métropoles régionales, l’apanage des amateurs - et cela épargne les harmonies de quintes expectorantes qui font le charme inimitable des salles de la cité du baron Haussmann. C’est face à un public convergeant au parterre de l’Auditorium de Dijon que joue ce soir le jeune encore mais déjà célébré Trio Arte.

Le programme s’ouvre sur le Trio en si bémol majeur n°1 D471, réduit à un mouvement Allegro. L’impression d’arriver au milieu d’une conversation animée rappelle l’Opus 33 de Haydn. Si l’on trouve quelques modulations mélancoliques à la fin, l’ensemble donne un pâle reflet de l’émotion schubertienne, et évoque surtout, avec beaucoup de talent, la maturité du maître de chapelle du prince Esterhazy.

Avec la Sérénade en ré majeur Op.8, on entre sans doute possible dans l’univers plein d’humeurs de Beethoven. Dès la marcia initiale, notée Allegro, les trois instrumentistes prennent la partition à bras le corps. On peut regretter quelques coups d’archet un peu rudes de la part du violon, mais l’humour du compositeur est révélé avec son énergie juvénile – le motif circulaire et répétitif qui se propage d’un pupitre à l’autre est une figure ironique qui se retrouvera dans le dernier mouvement de la Huitième symphonie. Après un Adagio apaisé, on retrouve des élans révolutionnaires dans le Menuetto. Ce n’est plus la danse élégante et un peu assoupie des salons de la fin du siècle des Lumières, mais un mouvement à la gaieté passablement insolente qui confondrait déjà les pas des courtisans et ferait sursauter les perruques et les chandelles. Avec l’Adagio-Scherzo qui suit, on a affaire à un sens des contrastes et de la surprise où le jeune Beethoven fait une révérence facétieuse à l’art de Papa Haydn. Le violon d’Ayako Tanaka est remarquable d’intériorité, avec des accents d’une brillance translucide, et l’alto d’Arnaud Thorette y répond avec un velouté irrésistible. À l’Allegretto alla polacca succède le mouvement à variations, Andante quasi allegretto, tour à tour léger et lyrique, plein de contrastes. La marche initiale est reprise, enchaînée attaca.

Après l’entracte, on enjambe un siècle et demi de styles et de stigmates, avec le Trio Op.45 de Schönberg, écrit au lendemain de la seconde guerre mondiale et d’une opération du cœur. Bien que divisée en trois parties et deux épisodes intermédiaires, l’œuvre se présente comme un carnet de notes où les affects et les intensités se succèdent au fil d’un lyrisme introspectif et imprévisible. Les jeunes musiciens ne se laissent pas intimider par l’austérité sérielle de la partition et en tournent les pages avec une concentration formatrice.

On peut être gré du courage et de la sensibilité du Trio Arte de nous offrir en finale de la soirée la Sérénade pour trio à cordes en ut majeur Op.10 d’Ernő Dohnányi. C’est une pièce d’une grande qualité qui emprunte l’expressivité et les couleurs automnales à Brahms tout en leur imprimant un sens du rythme bien hongrois. L’originalité mélodique se manifeste dès la marche initiale, pleine de vigueur. La Romance s’ouvre sur une cantilène de l’alto accompagnée par les discrets pizzicati du violon et du violoncelle, lequel emporte le second motif, plus tourmenté. Cette page pleine d’émotion est jouée avec beaucoup de délicatesse et sera donnée en bis. Le Scherzo suivant s’avère d’une redoutable vélocité. Les harmonies en demi-teintes se dessinent sur des motifs rythmiques qui passent d’un pupitre à l’autre. Le thème de l’Andante con moto à variations est lyrique et intérieur, et ces dernières s’enchaînent avec un sens de la structure affirmé. Le finale reprend le motif mélodique d’un Rondo all’ungarese de Haydn et rappelle l’expressivité débordante de Tchaïkovski, mais révèle un brillant moins impudique que celui du compositeur russe.

La modulation des éclairages permet de favoriser l’intimité exigée par ce répertoire au sein de la salle très étirée de l’Auditorium. L’acoustique du lieu défavorise cependant le violoncelle Nicolas Lupot d’une belle retenue de Fabrice Bihan, au profit de la pétillante Ayako Tanaka. Mais l’on ne boudera pas son plaisir face à ces musiciens pleins d’une vivacité sincère.

GC