Chroniques

par bertrand bolognesi

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 3 mars 2005
© marc ginot | opéra national de montpellier

À l'inverse de la production toulousaine vue il y a trois semaines à Bordeaux [lire notre chronique du 10 février], cetteTosca bénéficie d'une mise en scène judicieuse, libérée de tout stéréotype, et d'une scénographie tant épurée que chargée de sens, dont le sol dallé de pierres colorées constitue l'un des fils conducteurs. La collaboration du décorateurAlexandre Heyraud avec Sylvie Auget qui signe la réalisation suggère subtilement et laisse le spectateur imaginer, ce qui n'est pas si fréquent, surtout dans ce répertoire.

Une seconde scène légèrement inclinée délimite l'espace. Elle est refermée en haut du plateau par les colonnes richement ornées d'un portique baroque dans l'esprit des architectures théâtrales du Bernin. À cette base viendront s'ajouter quelques éléments mobiles : des candélabres et un marbre de la Madone pour situer l'église Sant'Andrea della Valle, un bureau sur le côté pour le palais Farnese, et plus rien que la nudité de l'espoir, puis de la mort et de la malédiction pour la plateforme du Sant'Angelo.

Le portique raconteTosca à sa manière : il abrite le tableau sacré que Cavaradossi peint au premier acte, une scène assez peu définie, sorte defantasia à la Delacroix aux couleurs chaudes et à la dynamique d'une sulfureuse sensualité, à l'Acte II, et devient au III une porte sur le ciel. Ainsi, le dispositif évoque-t-il, en un perpétuel paradoxe presque pervers, les arts au service de la puissante autorité papale, d'abord – représentation religieuse de Marie-Madeleine inspirée par la marquise Attavanti dont l'amour fraternel est faussement pris pour de la dévotion –, le stupre qu'autorise la puissance politique infernale de Scarpia, ensuite – vision de plaisir des sens dans un lieu qui donne sur une salle de torture – tandis que, pour finir, le dallage monte vers le ciel : l'heure de la vérité nue est arrivée, sans représentation aucune – Mario n'a pas recommandé son âme aux tartuffes de l'Église, Tosca a mis à terre le chef de la police politique devant lequel tout Rome tremblait.

Voilà qui prend vie grâce à une attentive direction d'acteurs, inventant un sacristain qui n'a plus rien du vieux goûteux malpropre habituellement au rendez-vous, un Angelotti fébrile à l'angoisse impérative, un Spoletta moins primairement soumis, un Scarpia fascinant qui réalise l'improbable et terrible hybridation du tigre et du taureau, enfin une Tosca d'une fraîcheur nouvelle, d'une grande pureté – ces figures sont discrètement caractérisées par les costumes de Jérôme Bourdin –, tout en gérant parfaitement la dynamique des mouvements d'ensemble (Te Deum du premier acte et peloton d'exécution du dernier). En complice, la lumière contribue à la réussite générale : Michel Theuil souligne le Te Deum de la fauve lueur des cierges, délimite de ténèbres contrastées le dallage des deux premiers épisodes qu'il désigne comme l’île d'une illusoire paix au III, où peu à peu se lève le bleu du ciel saluant franchement deux amoureux morts.

Intelligemment, la mise en scène détourne tout ce qu'on attend du long duo de l'Acte II. La fulgurante préméditation de Tosca surprend. Elle le pique au ventre, face à lui, du geste viril, précise et sauvage dont on abat un sanglier dans une joute. Le choix d'une autre fin demeure une énigme : pourquoi l'héroïne se poignarde-t-elle au lieu de se jeter dans l'abîme, qui plus est avec l'arme qui tua Scarpia, mêlant leurs sangs en toute ambiguïté ? Si tant est que puisse se défendre cette option – par laquelle Sylvie Auget auto-désigne sa griffe, dans un travail qui, brillant par ailleurs d'une personnalité indéniable, ne nécessitait cette revendication –, il reste dommage de n'avoir pas profité de l’idée d'une porte s'ouvrant sur le ciel, débarrassée de tout désir de représentation (symptôme de la vanité des pouvoirs), chute dans la liberté d'une mort choisie qui eût su d'autant plus renforcer la malédiction – Scarpia, davanti a Dio !... – de l'âme noire encore agissante du baron par Tosca.

Bien que nous soyons vraiment au théâtre, n'oublions pas les voix.
Entouré du Spoletta au timbre clair et à la savoureuse vélocité de Nikola Todorovitch, de la vaillante santé du sacristain de Darren Jeffery et de l'évidence du chant de Nicolas Courjal pour Angelotti, le trio principal est plutôt bien choisi. Frank Poretta offre à Mario un aigu somptueusement lumineux, avec toutefois un médium terne, voire sourd, ce qui nuit au legato ; on lui reprochera un jeu d'avant guerre et un chant sans nuances, tout occupé de la puissance de ses prouesses.

Iano Tamar donne une Tosca attachante dont la présence dramatique semble inventer la partition au fil de l'action, d'une voix un peu confidentielle dans l'aigu, mais au médium corsé et excitant qui convient particulièrement au rôle. Enfin, Scarpia est infaillible comme la détermination de ses désirs : Carlos Almaguer use d'une voix généreusement projetée, d'un timbre incisif comme nul autre, d'une incroyable puissance évocatrice véhiculée par la moindre nuance de son chant, pour construire un personnage effrayant.

En fosse, Massimo Zanetti soigne vivement chaque détail de la partition avec des inflexions d'une belle musicalité, suivant tout moteur dramaturgique avec intelligence et sensibilité. Il affirme une interprétation raffinée qui soutient efficacement cette belle réalisation.

BB