Chroniques

par laurent bergnach

The sinking of the Titanic
musique de Gavin Bryars – vidéo de Bill Morrison et Laurie Olinder

Festival d’Automne à Paris / Théâtre de la Ville
- 22 octobre 2012
The sinking of the Titanic, musique de Gavin Bryars
© dr

À quelques détails près, tout le monde connaît l’histoire. Sorti des chantiers Harland & Wolff (Belfast) avec ses navires-jumeaux, l’Olympic et le Britannic, le Titanic appareille de Southampton le 10 avril 1912, à destination de New York. Pour la White Star Line, ce voyage inaugural est l’occasion de surpasser en confort, sécurité et élégance les compagnies maritimes concurrentes, à l’échelle européenne. Après les ports de Cabourg (France) et Queenstown (Irlande), le paquebot entame une traversée de l’Atlantique avec un peu plus de mille trois cents passagers et près de neuf cents membres d'équipage. Le 14 avril, à 23h40, du haut de son nid-de-pie, Frederick Fleet aperçoit un immense bloc de glace droit devant : il sonne les trois coups de cloche réglementaires et téléphone à la passerelle. Un virage est amorcé mais le bâtiment heurte l'iceberg par tribord, ouvrant une voie d'eau sous la ligne de flottaison. Le premier appel de détresse envoyé se change bientôt en SOS, tandis que débute l’évacuation des passagers sur une vingtaine de canots de sauvetage, pour la plupart remplis à moitié. À 2h17, l’eau envahit la cabine radio et l’orchestre cesse de jouer.

Divisé en quintette et trio œuvrant dans différents endroits de première classe, l’orchestre en question comprend trois violonistes (John Hume, George Krins et Wallace Hartley qui dirige la formation), deux violoncellistes (Roger Bricoux, John Woodward), deux pianistes (William Brailey, Percy Taylor occasionnellement au violoncelle) et un contrebassiste (John Clarke). L’un d’eux part en mer pour la première fois, certains connurent la collision de l’Olympic avec un croiseur l’année passée, d’autres encore ont travaillé sur le Carpathia – premier navire à porter secours aux naufragés du Titanic, et qu’une torpille allemande éventrera en 1918. Ce soir-là, tous périrent, après avoir joué des airs entraînants (valses, jazz, ragtimes) pour endiguer la panique. S’il est admis que l'hymne Nearer, My God, to Thee (Plus près de Toi, mon Dieu) fut l’un des derniers entendus, l'opérateur radio Harold Bride évoque un autre cantique :

« Je nageais de toutes mes forces, je crois que je me trouvais à cinquante mètres environ quand le Titanic a piqué du nez, sa poupe levée tout droit vers le ciel, et a commencé lentement, lentement sa descente… L’orchestre a continué à jouer, de façon admirable… La dernière fois que je les ai vus, alors que je flottais dans la mer, équipé de mon gilet de sauvetage, ils étaient toujours sur le pont, et jouaient Automne. Je ne sais pas comment ils ont fait. Mais ce spectacle, et celui de Phillips (le chef radiotélégraphiste) continuant d’émettre, bien que le commandant soit venu lui dire que sa vie lui appartenait, et qu’il devait essayer de se sauver, sont les deux choses qui me restent à l’esprit ».

La découverte de The Sinking of the Titanic, créé dans une première version à Portsmouth en 1969, confirme que Gavin Bryars (né en 1943) s’est inspiré largement de ce témoignage puisque l’hymne évoquée constitue le noyau de sa partition. Ce pionnier de l’improvisation libre tient lui-même la contrebasse du quatuor central formé avec Nick Cooper (violoncelle), Nick Barr et Morgan Goff (alto), tandis que le Junior Ensemble (alto, contrebasse et deux violoncelles) et les autres membres du Gavin Bryars Ensemble (guitare électrique, clarinette basse, cor, percussions) se tiennent derrière, au pied des deux écrans qui diffusent des images en miroir – effet anti-ciné-concert assuré. Outre le quatuor omniprésent, empli de nostalgie (et un moment scindé en duos, après une période d’affolement), le percussionniste Martin Allen prend une place particulière : il heurte par trois fois les cloches-tubes, passe un archer fantomatique sur les lames du xylophone, imite le langage morse à l’aide de vifs chocs boisés, annonce la collision avec de petites cymbales et, enfin, manipule un gong plongé dans une cuve d’eau.

Autant sinon plus que certaines manifestations célébrant la musique contemporaine, le Festival d’Automne à Paris propose des spectacles multimédias originaux, pour le pire – JO [lire notre chronique du 23 octobre 2006] – et le meilleur – Des trous dans la tête ! [lire notre chronique du 19 octobre 2009]. On situera entre les deux cette nouvelle version anniversaire de l’auteur de Jesus Blood Never Failed Me Yet [lire notre entretien]. En effet, nous avons été peu sensibles à cette musique largement répétitive, agrémentée d’interventions indigentes de Philip Jeck aux platines. Confié à Bill Morrison et Laurie Olinder, le côté visuel n’offre rien de bien excitant non plus : des voyageurs du passé embarquent puis laissent place à des vues plus abstraites en haute mer, retravaillées avec paresse.

LB