Chroniques

par gérard corneloup

Terre et cendres
opéra de Jérôme Combier

Opéra national de Lyon / Théâtre de la Croix-Rousse
- 15 mars 2012
terre et cendres, nouvel opéra de Jérôme Combier, à Lyon
© jean-pierre maurin

On ne compte plus, sur scène, le nombre de guerres, de luttes et de conflits, qui fournirent matière à des pièces de théâtre, tant parlées que chantées. De la conquête romaine aux guerres de religion, en passant par les croisades, la coupe est pleine – archipleine !

Le premier intérêt du nouvel ouvrage lyrique commandé par l’Opéra national de Lyon au jeune compositeur Jérôme Combier et créé mondialement au Théâtre de la Croix-Rousse est de sortir absolument et délibérément des ancestrales habitudes en la matière et de puiser son matériau dramatique dans une actualité aussi sombre et violente que persistante : la guerre en Afghanistan. Où plutôt les guerres, serait-on tenté d’écrire, puisqu’il s’agit là du conflit remontant aux années 1990 où l’armée soviétique fit des ravages dans ce monde, alors ô combien lointain pour l’homme occidental.

Enfant du pays, vivant aujourd’hui en France, l’écrivain Atiq Rahimi vécut le drame au quotidien, en tira un court roman puis un long métrage récompensé au Festival de Cannes. Chargé du livret, il n’eut, pour cela, qu’à replonger dans son texte et, par delà, dans cet après cataclysmique où quelques humanité échappées à la mort errent à la recherche de vivants, dans le silence pesant qui suit le fracas des armes.

Deux hommes vont et viennent. Deux hommes qui ont tout perdu, à commencer par les leurs. Deux hommes et surtout deux générations : Dastaguir, l’homme mûr, accompagné du jeune Yassin, son petit-fils, que le récent bombardement à soudainement privé de l’ouïe. L’un cherche son fils, l’autre cherche son père : à savoir le même homme, Mourad, que tout deux tentent de rejoindre au fond de la mine où celui-ci travaille.

Voilà pour le point de départ. Reste à faire vivre cette intrigue sommaire mais riche en possibilités dramatiques. D’autant plus que le choix du metteur en scène japonais Yoshi Oida, flanqué du décorateur Tom Schenk, ne donne pas dans la demi-teinte : ce ne sont que gravats, poutrelles tordues, débris divers et variés amassés autour d’une carcasse de voiture abandonnée. Au milieu, sous les éclairages tarabiscotés de Christophe Chaupin, le dialogue entre le vieillard accablé et le gamin sourd serait forcément minimaliste si notre romancier, devenu librettiste, n’avait ajouté à la sauce, pourtant déjà fort épaisse, un conteur-commentateur parlant et un mini-chœur chantant, constitué d’un sextuor puisé dans l’Ensemble choral maison.

L’ennui, c’est que les dialogues tournent volontiers en rond, que le texte musarde et que le choix de le projeter sur un écran de fond de scène est le type même de la mauvaise idée : comprenant, en principe, plutôt bien sa propre langue, qu’elle soit parlée et chantée sinon sonorisée, le spectateur français se surprend à constamment lire… au point d’en oublier tout le reste – dont la musique !

Or, cette musique est justement le point fort de la création.
Ouf ! Jérôme Combier n’y est pas allé par quatre chemins. Il est parfaitement entré, lui, dans le monde qu’il devait illustrer et faire vivre, sans dramatisme exacerbé, sans fureur furieuse, sans élan superfétatoire. L’univers qu’il crée est à la fois désolé et compatissant, refusant le décibel pour le décibel, riche dans sa simplicité, efficace dans son épaisseur jamais oppressante, jamais pesante. Les diverses sourdines qui voilent assidûment les cuivres, les cordes oscillant en apesanteur, les singulières sonorités puisées dans des gongs inattendus, tout concourt à délivrer un discours musical riche, fascinant et prenant, mais qui tourne le dos au visuel scénique de service. Il est vrai que la partie musicale bénéficie de la direction attentive et mobilisatrice développée par le jeune chef Philippe Forget, à la tête de musiciens particulièrement expressifs. Les deux comédiens – Julian Negulescon (Conteur) et Hamid Reza Javdan (Grand-père) –, pas toujours pleinement entendus, tiennent bien la scène, et le sextuor vocal s’en sort plutôt bien. Finalement, le plus émouvant est encore le jeune Adrien Chavy, très à l’aise vocalement dans le personnage de Yassin.

On attend une nouvelle partition de Jérôme Combier, en bonne entente avec ce qu’il est toujours convenu d’appeler le livret.

GC