Chroniques

par laurent bergnach

Te craindre en ton absence
monodrame d’Hèctor Parra

Théâtre des Bouffes du nord, Paris
- 5 mars 2014
Te craindre en ton absence, monodrame d’Hèctor Parra
© luc hossepied

Repérée très jeune par Jérôme Lindon des Éditions de Minuit (Quant au riche avenir, 1985), Marie NDiaye (née en 1967) remporte les prix Femina (Rosie Carpe, 2001) et Goncourt (Trois femmes puissantes, 2009). Elle attire aussi l’attention lors d’une affaire de plagiat incriminant sa consœur Marie Darrieussecq ou à l’occasion de son départ de la France « monstrueuse » de Sarkozy. Aujourd’hui, après avoir approché le théâtre et le cinéma, elle renouvèle sa pratique de l’écriture avec « un monologue qui ne peut s’entendre, peut-être même se comprendre sans la musique ». Elle poursuit :

« c’est une femme qui s’exprimera, qui parlera des événements fondamentaux de son existence : être une fille et une mère, être d’une région, d’un pays, appartenir à la communauté humaine, faire partie des hommes et cependant être une femme, ce genre toujours particulier. Elle s’adressera peut-être aux âmes mortes qui rôdent autour d’elle, celle des défunts qui exigent qu’on se souvienne d’eux ».

Sur le modèle de Cassandre de Jarrell [lire notre chronique du 27 octobre 2011], Te craindre en ton absence n’est pas chanté mais dit d’une voix libre sur fond de musique. Pour mettre en scène cette création calibrée pour la tournée (Musica, etc.), Georges Lavaudant déroule un tapis de plumes blanches depuis l’Ensemble Intercontemporain jusqu’au public, et projette en fond de scène des mots lumineux qui alternent avec un défilé de réverbères – chaque fois que le mot « route » est prononcé, afin de bien faire comprendre que l’introspection a lieu dans une voiture…

Une mère mourante, une sœur pendue, un bon mari, un père soupe-au-lait sont évoqués, semble-t-il, par Astrid Bas, étudiante en première année d’art dramatique à… Ah non, pardon : renseignement pris, cette jeune femme au tailleur et chignon impeccables est déjà une comédienne reconnue, avec un curriculum conséquent. Mais alors, pourquoi perdons-nous un mot sur cinq du monologue ? Pourquoi une voix tremblante et dure, un ton à mi-chemin entre l’anecdote bourgeoise et la sentence de carmélite ? Mystère des castings.

Ce « récit aussi déchirant qu’énigmatique », Hèctor Parra (né en 1976, à Barcelone) l’a écouté plusieurs fois, enregistré par Lavaudant, pour écrire « une partition musicale toute en méandres qui suit l’évolution émotionnelle d’un personnage tiraillé entre des forces contradictoires. » Hélas, ce que nous entendons par douze musiciens guidés par Julien Leroy, c’est une musique au kilomètre, sans charme particulier et hérissée d’un pathos de cuivres et de cordes. Cela s’interrompt régulièrement à la faveur de haut-parleurs qui livrent divers compagnonnages (volaille, spéléologue ou R2-D2).

Fumeurs incurables ou énurétiques convaincus, si vous rêvez d’un spectacle dont vous pourrez vous éclipser dix minutes sans rien louper, celui-ci conviendra tout à fait – prétentieux et « putassier ». Ce soir, d’aucuns ont quitté la salle… nulle pulsion vésicale ou pulmonaire : ils ne sont pas revenus.

LB