Chroniques

par bertrand bolognesi

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 30 décembre 2007
Nagasaki Masahiro photographie Tannhäuser à l'Opéra Bastille
© nagasaki masahiro | opéra national de paris

Assistant de maestro Ozawa depuis 1996, c’est tout naturellement que Pierre Vallet prenait la baguette pour les deux dernières représentations du nouveau Tannhäuser parisien. Au souvenir d’une lecture des plus précises, intégrant un soin du détail à l’effectivité d’une arche dramaturgique, l’on félicitera ce chef qui profite de la musique en sage plutôt qu’en gourmand, dans un dosage toujours respectueux de l’équilibre entre la scène et la fosse.

Absent de l’Opéra de Paris depuis un peu plus de vingt ans, ce Tannhäuser fort attendu bénéficiait d’un plateau vocal satisfaisant, quoiqu’inégal, laissant poindre quelques réserves quant à la prestation de deux chanteurs, dans des rôles clés. Ainsi du Wolfram de Matthias Goerne dont les indéniables qualités ne suffisent à transcender les incontestables faiblesses. Elégante conduite du phrasé, onctueuse pâte vocale, haut-médium lumineux et attaques souples se conjuguent dans un impact aussi charmant qu’insaisissable qui, par définition, noie ses atouts dès que l’orchestre fronce les sourcils. Le timbre paraît alors sourd, la couleur voilée, l’émission engorgée, la projection écrasée, jusqu’à produire un aigu droit et serré. Si l’incarnation retient immédiatement l’attention, elle s’en tient là, n’habitant pas plus le personnage que la présence naturelle d’un artiste qu’on aimerait plus investi – et précisément dans les proportions qu’il assigne lui-même au rôle. Ainsi de la Venus de Béatrice Uria-Monzon, certes sonore, mais au chant uniformément pâteux qui rend incompréhensibles le texte comme l’intention. L’aigu est appuyé, le médium se ternit et le grave manque de corps, ce que vient curieusement contredire une couleur souverainement sombre qui, tout en insufflant un soufre intéressant à la déesse, pourrait évoquer d’autres héroïnes wagnériennes qu’interdisent ces carences.

Bien que les ensembles masculins ne convainquent guère, les Wartburguiens se trouvent individuellement bien distribués. Si Wojtek Smilek (Reinmar) et Andreas Conrad (Heinrich) sont irréprochables, Michael König campe un Walter efficace, clair et pointu, tandis que Ralf Lukas donne un ferme Biterolf à l’impact avantageux. En Franz-Josef Selig, Hermann trouve un grain suave, le solide ancrage d’un grave velouté, un chant délicat dont l’onctuosité sait se faire entendre. L’on regrettera les nombreux décalages d’un Chœur trop peu concerné dramatiquement dans le deuxième acte, livrant néanmoins d’honorables pèlerins.

Émission souple, clarté d’un timbre riche en harmoniques, évidence d’une projection généreuse, nuance toujours dirigée par la contingence dramatique : voilà bien de quoi sculpter un bon Tannhäuser ! Perfectionnant le rôle avec succès, les qualités qui l’y imposent permettent à Stephen Gould d’y nager comme un poisson dans l’eau et donnent à rêver le juste et vaillant Tristan qui manque à nos scènes. Enfin, le plaisir est immense à retrouver Eva-Maria Westbroek en Elisabeth, véritables ange descendu de l’éther lumineux quant à la grâce de l’aigu et à la mansuétude du regard, mais double ô combien troublant de Venus quant à la sensualité du timbre, l’expressivité de la couleur et la présence scénique, brutalement belle, tout simplement. Par une excellente conduite de la ligne de chant s’appuyant sur une émission franche et une remarquable homogénéité de la voix sur toute l’étendue de la tessiture, le grand soprano dramatique s’autorise un engagement que maîtrise un art jamais maniéré de la nuance.

L’on demeure toutefois perplexe quant à la mise en scène de Robert Carsen. Qu'elle ait une nouvelle fois recours au champagne, aux plateaux d’argent ou à la nudité masculine n’est pas gênant, l’artiste ayant bien le droit de se rassurer par ses propres bondieuseries, après tout. Que le tournoi de poésie – ce qui, au Moyen-âge, revient à dire joute de chant et de musique –, soit ici concours de peinture offre l’avantage d’abord surprenant d’un cadre renouvelé, au-delà duquel la prétendue visée à l’universel et la paradoxale restriction qu’impose la distance parcourue du pied de la lettre à sa symbolisation – forclusion du portrait (celui de l’amour, qui plus est) ? – ne font qu’appuyer une interprétation pauvrement mécaniste des passions. L’inévitable cocktail de l’Acte II ne crée que le choc d’un contresens face à la réaction démesurée de la société représentée sur scène, paraissant alors réactionnaire alors qu’elle n’est que conservatrice. La nuance n’est pas négligeable, précisément dans la bienveillance de Wolfram à l’égard de Tannhäuser comme de cette société qui nie l’innovation de l’artiste dans la digestion de son acte par ses valeurs que, afin d’éviter d’autres contresens, l’on dira communautaires plutôt que bourgeoises - si féroce que puisse paraître l’œil wagnérien, c’est grossièrement oublier la fin du premier acte des Maîtres Chanteurs. L’indignation de l’assemblée est alors ridicule car, n’assistant pas au Sängerkrieg annoncé – non une Fest, un Festspiele ou une Feier, mais un Krieg, ne l’oublions pas – nous y touchons les limites d’une transposition mal mesurée par son auteur. Toute la gravité de cette erreur s’affirme dans l’immanquable perte de sens de ce qui suit.

BB