Chroniques

par bertrand bolognesi

Tannhäuser
opéra de Richard Wagner

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 28 juillet 2010
© wilfried hösl

Parmi les ouvrages de Wagner, Tannhäuser n’est pas le plus facile à monter. En 1994, le nord-américain David Alden, metteur en scène favori de l’ère Jonas à la tête de la Staatsoper de Munich, signait une production qui fit date et que le public retrouve avec plaisir (remontée par Natascha Ursuliak). C’est tout un monde hyper ritualisé qui s’y invente sous nos yeux, sur fond de menace d’écroulement ou de survie artificielle de valeurs anciennes après l’effondrement, de peur de perdre sa propre civilisation.

Colonne brisée en cour, frise néoclassique atterrissant sur scène pendant le premier Vorspiel, la complicité de Roni Toren pour les décors et de Buki Shiff pour les costumes impose un sombre défilé de damnés au Venusberg - un supplicié portant sa météorite, un perpétuel insatisfait frottant le prurit de son entrejambe au sol, un guerrier avide de sang, des satyres outrageusement disponibles, etc. Orgiaque, le ballet s’accomplit en dehors de toutes conventions, autour d’une porte symbolisant le passage d’un monde à l’autre. C’est dans une ruine exquisément théâtrale que se joue le tableau suivant, dont la geste reprend des motifs aperçus juste avant. Rituel, cérémonie, défilé, encore, mais ici d’allégeance au seigneur : sans obéir à quelque littéralité que ce soit, la scène évoque ingénieusement toutes les réalités de l’œuvre. Aussi parviendra-t-on bientôt à l’émotion, dans un fier respect de la partition, de ses inflexions, de ses couleurs, laissant humblement les voix dominer lorsqu’il le faut, la symphonie irriter les sens, quand c’est son heure.

Et quelles voix !
Il est rare de pouvoir goûter un tel équilibre dans les ensembles, notamment ceux des chevaliers-poètes. Ces derniers ne se contentent pas de les réaliser dans un grand soin de justesse et dans une pâte incroyablement égale, mais soignent aussi la nuance, le plus finement qui soit. Seul Ulrich Reß (Walther) convainc peu, dans le concours, par une phonation assez empruntée, malgré un aigu d’une rare douceur. Ferme baryton au timbre noir et au solide grain vocal, Christian van Horn est un Biterolf satisfaisant. Riche et profonde, la basse de Hans Peter König campe d’une autorité indéniable le rôle d’Hermann. Se détache de tous un Wolfram d’exception, infiniment musical tout en demeurant solidement vocal : Christian Gerhaher, toujours infiniment nuancé, livrant un air de concours d’une sensibilité rare (de fait, la salle ne se trompe pas, lui faisant triomphe comme à personne).

Les trois grands rôles font florès. L’Elisabeth de Petra Maria Schnitzer s’avère amplement projetée, facile, large, d’un phrasé souple qui autorise une musicalité toute en réserve. Opulence et charisme définiront aisément la Vénus de Petra Lang, sensuelle en diable. Enfin, avec juste ce qu’il faut d’agressivité dans la couleur, Peter Seiffert, en grande forme, libère peu à peu les riches harmoniques de sa voix. Son Tannhäuser est vaillant et expressif à l’Acte I, somptueusement puissant au II, à fleur de peau au III.

Avec trois voix d’un format si généreux, la fosse profite sans vergogne de l’orchestration, ne risquant aucun inconfort. Le résultat est exaltant. Alerte, fluide, tout en urgence, l’interprétation de Kent Nagano jamais ne pontifie, sachant toutefois goûter l’écriture des vents qu’elle rend dans une unité quasiment organistique. Au frémissement féroce du Venusberg succèdent les improbables illuminations, ô combien profondes, de l’acte médian, bien que le Bayerisches Staatsorchester accuse quelques soucis de justesse, sans doute dus à la fatigue de ce mois de représentations non-stop. Du reste, les musiciens se reprennent au troisième acte qu’ils livrent dans un enchantement absolu, secondés par un Chor des Bayerischen Staatsoper d’une grande classe.

Dans cette optique de mise en scène et avec des voix pareilles, sans compter les délices de la fosse, Tannhäuser est palpitant comme jamais.

BB