Chroniques

par hervé könig

Tamara Stefanovich et George Benjamin
National Youth Orchestra of Great Britain

œuvres de Benjamin, Debussy, Ligeti, Moussorgski et Ravel
The Proms / Royal Albert Hall, Londres
- 4 août 2018
à la tête des jeunes musiciens britannique, George Benjamin aux Proms de Londres
© javier del real

Une grosse quinzaine après ma collègue strasbourgeoise, à mon tour de retrouver la capitale britannique et ses célèbres Proms [lire nos chroniques des 20 et 21 juillet 2018]. Le programme de la soirée ressemble à ceux que préparait Pierre Boulez, établissant avec intelligence des ponts entre les œuvres présentées. Conclu avec Debussy, le concert commence par Moussorgski, et l’on sait bien tout ce que le Français dut à sa découverte de l’École russe grâce à son poste de précepteur durant sa jeunesse. Benjamin, qui apprécie particulièrement le luxe des timbres dans l’écriture de Ravel, n’est pas indifférent aux prémisses spectrales de Ligeti. Autre point commun avec Boulez, lui aussi compositeur et chef d’orchestre, la pédagogie : justement, c’est le National Youth Orchestra of Great Britain que le créateur anglais dirige aujourd’hui au Royal Albert Hall.

Sans risquer de surprendre avec la version originale de 1867 [lire notre chronique du 26 janvier 2017], George Benjamin joue Une nuit sur le mont chauve de Moussorgski dans l’orchestration plus courante de Nikolaï Rimski-Korsakov, réalisée en 1886. Après un démarrage fort virulent, la lecture du poème symphonique fait entendre tout ce dont regorge le travail soigné de révision. Le choix de cette page permet également de faire connaissance avec les jeunes musiciens dont les pupitres brillent volontiers. Créée le 19 mai 2005 par Daniel Barenboim à la tête du Chicago Symphony Orchestra, son commanditaire, Dance Figures de Benjamin est d’abord une suite d’études de danse. La richesse et la complexité de cette œuvre déjà ancienne bénéficie du très grand effectif. La subtilité du travail des cordes, pour commencer, est vraiment fascinante. Avec l’arrivée des vents, l’on pourra penser à Charles Ives et à Igor Stravinsky, ce dernier étant plus nettement présent encore dans les sections très rythmiques. La succession de passages entraînants et d’autres plus énigmatiques par leurs sonorités infiniment travaillées ou des respirations qui apparaissent comme suspendues ne lâche pas l’auditeur. Retour dans le passé, ensuite, avec le Concerto pour la main gauche que Maurice Ravel écrivit entre 1929 et 1931 pour le pianiste Paul Wittgenstein qui avait perdu le bras droit pendant la Grande Guerre. L’approche du chef paraît un peu sévère, ce soir – mais s’agit-il d’un concerto qu’il faudrait absolument rendre joyeux ? Étrangement, les cuivres si brillants dans les opus précédents sont vraiment ternes ici. Nous retrouvons Tamara Stefanovich, active sur la scène contemporaine [lire nos chroniques du 2 novembre 2015 et du 11 janvier 2005]. La lenteur inhabituelle de cette exécution nous semble excessive : bien qu’elle ait le mérite de la gravité, elle prive de ces contrastes qui, tout de même, sont le propre du genre. Une telle option est défendable, mais tout cela est vraiment terne. En bis, la pianiste offre Prayer bell sketch (1995), courte page d’Oliver Knussen, décédé le mois dernier, à l’âge de soixante-six ans à peine.

Après l’entracte, nos jeunes musiciens reprennent le pouvoir avec Lontano de György Ligeti, composé en 1967 et créé la même année par Ernest Bour et le Sinfonieorchester des Südwestrundfunk, aux Donaueschinger Musiktage. La précision des lignes instrumentales qui se superposent progressivement est sans conteste méritante. Sous l’impulsion de maestro George Benjamin, les artistes en herbe du National Youth Orchestra of Great Britain atteignent une vocalité impressionnante. Construite en soufflet, partant de l’aigu, en douceur, avec un crescendo progressant dans tous les registres, puis un decrescendo orienté vers le grave, Lontano est encore loin d’apparaître comme une œuvre ancienne. Pour finir, Debussy, disparu il y a cent ans, quelques mois avant l’achèvement du premier conflit mondial du XXe siècle, avec ses esquisses symphoniques de 1905, La mer. Dans la lignée d’Une nuit sur le mont chauve, chacun des pupitres peut alors montrer ses atouts. Bravo pour la retenue savante dans De l'aube à midi sur la mer, pour la sensualité du Jeu des vagues et, enfin, pour la moderne opulence du Dialogue du vent et de la mer. Avec un tel concert, il n’y a pas lieu de s’inquiéter quant à la relève musicale, la nouvelle génération connaît déjà bien son métier.

HK