Chroniques

par laurent bergnach

Tales of the bodiless
spectacle d’Eszter Salomon et Bojana Cvejić

musique de Cédric Dambrain et Terre Thaemlitz
Agora / Centre Pompidou, Paris
- 11 juin 2011

Spectacle conçu et réalisé par Eszter Salamon (chorégraphe et danseuse) et Bojana Cvejić (théoricienne de la performance), Tales of a bodiless s’annonce comme une fiction musicale hors-science qui, à l’aide de l’espace, de la lumière et du son – les haut-parleurs sont omniprésents, diffusant notes ou/et paroles –, explore l’hypothèse d’un monde sans corps, où l’humain n’aurait plus de rôle central, dès lors entouré de formes de vie chimériques et fantasmatiques. Les différentes étapes de ce parcours sont annoncées par un court texte projeté sur un écran translucide, à l’avant-scène : d’abord le monde préhistorique de la tourbière suivi d’un temps où règnent les chiens libérés du joug des hommes, puis celui de la « substitution » (relation entre corps incarnés et désincarnés) menant à une reproduction anarchique et particulaire.

« Tales of the bodiless, explique Bojana Cvejić, se développe ainsi en quatre paysages, quatre mouvements, quatre lieux de perceptions et de sensations, qui tout à tour évoquent la désintégration et le pourrissement, la névrose et l’agression, la joie et l’expansion exaltée, l’explosion et la disparition. […] Cela suppose de bouleverser la hiérarchie des sens telle qu’elle se présente au théâtre : l’ouïe et le toucher supplantent la vue. »

Sur le papier, tout fonctionne ; les villes de Bruxelles (qui a le privilège de la création, le 21 mai dernier, au Kunstenfestivaldesarts), Paris, Berlin, Essen, Graz, Hambourg et Lyon coproduisent le projet et aucun fauteuil n’est vide pour cette seconde présentation parisienne. Au final, on rêve juste d’être vengé par l’Internationale pâtissière pour avoir perdu son temps avec ces contes vaniteux sans surprises, lesquels font se succéder une obscurité mêlant nappes de synthés et texte en anglais aux allures de rebirthing (merci au festival qui avait annoncé un sous-titrage…), deux corps écarlates et immobiles qui échangent des banalités mêlées d’obscénités, puis des souvenirs de la chair livrés de nouveau dans le noir (avec l’inévitable prostituée) tandis qu’on nous bombarde de micro-flashes à hauteur de plafond.

Alors que tout pèse des tonnes dans cet éloge de l’immatérialité, que l’on se demande comment deux compositeurs – Cédric Dambrain et Terre Thaemlitz –, un conseiller musique et un designer sonore ont pu livrer un résultat aussi affligeant, un moment de grâce point : celui où des formes diffuses apparaissent dans la pénombre, ici et là, dont on se demande si elles sont des marionnettes ou des corps gonflés de voiles. Il s’agit en fait de fumerolles, et nul ne peut bientôt en douter puisque, durant tout le dernier quart d’heure, la lumière revient à mesure que s’élabore, derrière l’écran, un véritable mur de fumée. De l’art d’alterner clichés avec idée exploitée jusqu’à plus soif, à la seule gloire du tape-à-l'oeil…

En prologue du spectacle, évoquant un théâtre ruiné par les flammes en 1947, à l’emplacement même de l’actuel Centre Pompidou, Eszter Salamon posait la question : « avons-nous toujours besoin du théâtre ? » D’instinct, nous pensons que oui, si ce théâtre pense, mais pour en être sûr, allons quand même relire Introspection – publié voilà quarante-cinq ans par Peter Handke.

LB