Chroniques

par françoise cheramy

Talents Danse
Quatre danseurs dans l’univers de trois chorégraphes

Talents Danse / Théâtre Jean Vilar, Suresnes
- 12 octobre 2005
Quatre danseurs dans l’univers de trois chorégraphes
© frédéric noy

L'association artistique de l'Adami conçoit et soutient des événements permettant à de jeunes artistes professionnels de démarrer leur carrière. En novembre 2004, elle a initié le projet Talents Danse au Théâtre de Suresnes, qui a primé quatre jeunes danseurs : Anthony Cazaux (formé dans la compagnie Sara Ducat), Sarah Duthille (à l'origine de la Compagnie Ici Danse), Matthieu Hocquemiller (étudiant en arts du cirque, sciences humaines, psychanalyse) et Fani Sarantari (ancien membre de Emmeleia, créatrice des 7 farfelus). Ces lauréats du prix d'interprétation chorégraphique ont ainsi l'occasion de travailler avec trois chorégraphes de renom, Christine Bastin, Laura Scozzi et Michel Keleminis, qui leur ont écrit chacun une pièce de vingt minutes.

Étonnante aptitude, pour ces quatre danseurs, de passer d'un univers à l'autre. D'une histoire aussi figurative que celle de Laura Scozzi avec son conte pour enfants – pas si petits que cela, d'ailleurs – dans lequel on trouve, quelque part au-dessus du ciel, des bêtes et des simulacres de tout acabit, des génies à oreille d'âne, des papes à quatre pattes, des saints à la diable… tout un drôle de bal masqué intronisé par une abeille frétillante butinant sur un air de Franck Sinatra. Elle est bientôt rejointe par une Piggy la Cochonne excitée par un pape virtuose libérant sa libido en une course folle autour de cette beauté, pinçant une fesse, se jetant à terre de joie, se mouvant tel une carpe entre deux eaux, tandis que la beauté sucrée nous fredonne babapi bababoum. Sa nuisette à la Marylin découvre deux jambes si habiles que rien ne leur résiste, pas même le couple politiquement improbable rassemblé pour un slow tendre et rieur. Ces marionnettes de show télévisé, Chirac et Sarko, se livrent à des cabrioles insensées à la façon des Bidibules, charmants oursons de feuilleton journalier. Euréka ! Faire la bête, faire le fou, voici le divin alibi… Incognito, invisible derrière les masques. Le tout se termine dans un happening débridé soutenu par la musique tonitruante de Blues Brothers. Pour les danseurs, il y a dans cette pièce une vivacité incroyable car, certes, c'est du délire et de la bouffonnerie, mais ça danse magnifiquement, notamment chez les deux danseuses dont la grâce et la légèreté ont su porter les adultes que nous sommes à croire aux contes de fées (tendance particulière de Scozzi).

Rien de comparable dans Les mots blancs de Christine Bastin, abstraction du vide et du blanc comme un uniforme de disparition, de même que l'écriture chorégraphique dans laquelle chaque geste entamé s'annule au profit du suivant, pas encore compris. On ne peut pas parler non plus d'hésitation ; plutôt d'une tentative de parole à la façon d'un bègue créant une atmosphère d'instabilité, d'une perte de confiance. Il règne dans cette pièce une sorte d'angoisse. Sommes-nous dans un asile? Que nous raconte sans cesse cette fille qui bute sur les mots, qui parle au lieu de danser, tombe, butte à nouveau, part en vrille dans son discours, sans nous livrer les codes nécessaires à comprendre l'œuvre ? Et lui, assis sur sa jambe tel un héron, qui se mange les doigts et, contorsionniste, s'entortille les jambes ? Tout ceci est irrémédiablement gâché par une musique électro-acoustique dont on aurait pu se passer.

Quant à Aléa de Michel Keleminis, au hasard de circulations stressées et agitées plus que dynamiques, de petites formes duelles s'échappent et mettent en résonance des corporalités différentes. La façon dont chacun s'empare du geste est un lieu d'observation avec le corps pour enjeu central. L'effet des croisements multiples constitue un liant permettant de dépasser, à l'intérieur de la danse, la juxtaposition des qualités de chacun. Là aussi, le son grinçant d'une composition aléatoire répond à la lancinante attente d'une évolution car si la ronde des dames est une composante de menuet, la répétition incessante de cette figure lasse étonnamment d'autant qu'à quatre intervenants, il n'est guère possible de multiplier les stratagèmes d'un tel système. Malgré ces quelques réserves, il n'en reste pas moins évident que ce projet permet de découvrir des jeunes danseurs d'excellence dans des univers très différents, avant une tournée en France et à l'étranger.

FC