Chroniques

par françoise cheramy

Swan Lake, 4 acts
chorégraphie de Raimund Hoghe

Festival d’Automne à Paris / Théâtre de la Bastille, Paris
- 14 octobre 2005
Swan Lake, 4 acts, chorégraphie de Raimund Hoghe
© rosa franck

Né à Wuppertal, le chorégraphe Raimund Hoghe a commencé sa carrière en écrivant : des portraits de petites gens et de célébrités pour l'hebdomadaire allemand Die Zeit, tout d'abord, puis des pièces de théâtre, proche de l'univers de Maeterlinck. De 1980 à 1990, il a été le dramaturge de Pina Bausch avant de collaborer, depuis 1992, avec Luca Giacomo Schulte, son actuel directeur artistique. En 1994, il interprète son premier solo Meinwärts qui, avec Chambre séparée (1997) et Another Dream (2000), forme une trilogie sur le XXe siècle. Parallèlement à son travail théâtral, il œuvre aussi pour la télévision. Il vit à Düsseldorf et a reçu plusieurs prix dont le Deustscher Produzentenpreis für Choreografie en 2001. « Voir sur la scène des corps qui s'éloignent de la norme est important – non seulement du point de vue de l'histoire, mais aussi du point de vue de l'évolution actuelle qui tend à rabaisser le statut de l'homme à celui d'artefacts ou d'objets design », affirme-t-il.

Swan Lake, 4 acts est sa dernière création. Il est tentant de faire un lien avec Sacre – The rite of Spring, par exemple, et de voir en Hoghe un arpenteur de souvenirs fouillant les mémoires de la danse ; il a cette étonnante capacité à utiliser le faux semblant pour créer un monde qu'il voudrait vrai, s'appuyant sur un thème musical qui créé la réalité et donne la seule densité à ce qui occupe la scène. Ici, la mort du cygne, tant et tant de fois répétée, réinterprétée, devient une ritournelle obsédante qui de fait s'imprime en nous. Oui, il meurt le cygne ! Le corps du chorégraphe offre à nos yeux sa différence, avec ce dos bosselé et douloureux entre ses bras frissonnant de battement hasardeux. En nous racontant une œuvre majeure du répertoire de la danse, Hoghe n'hésite pas à citer – comme une voix off – la chorégraphie de Marius Petipa (1895) : en fond de plateau, avec tutu et pointes, un splendide cygne noir sort de son imperméable beige ; Ornella Balestra fait une apparition quasi fantomatique et merveilleuse. La magie est là, mais trop vite disparue, elle laisse place à un corps de ballet de cygnes blancs en papier que notre chorégraphe dispose au sol tous les vingt centimètres et qu'il finit par recouvrir d'un kleenex… Cette pièce dure trois heures ou presque mais ne retient pas l'ensemble du public qui, résistant difficilement au sommeil, a quitté la salle de façon conséquente dès le premier acte.

Ornella Balestra, Brynjar Bandlien, Lorenzo De Brabandere et Nabil Yahia-Aissa interprètent de façon très sensible le minimalisme gestuel imposé. Pourtant, le col de cygne dessiné par le bras de l'un aimerait peut-être s'animer, mais non rien ! On sait que le chorégraphe leur demande, en dépit de leur virtuosité respective, d'être le plus simple possible ; mais à ce point d'immobilisme, on peut se poser la question qui roulait sourdement dans ce public frustré : de qui se moque-t-on ? On regrette alors de n'avoir pu voir évoluer ces quatre interprètes dont il semble évident qu'ils excellent en la matière. Il ne suffit pas que Raimund Hoghe les ait choisis par désir de partager avec le public des personnes qu'il aime beaucoup même si, en ce sens, son travail peut être vu comme une galerie de portraits amoureux.

FC