Chroniques

par bruno serrou

Sveriges Radios Symfoniorkester
Nicholas Angelich, Daniel Harding

Salle Pleyel, Paris
- 27 avril 2010
Daniel Harding joue Mahler, Beethoven et Berg à la Salle Pleyel (Paris)
© christina gullander

Les orchestres de radios comptent parmi les plus aguerris. En effet, leur mission étant de proposer des programmes étendus et constamment renouvelés, leur répertoire est diversifié. C’est pourquoi il est toujours intéressant de les écouter dans des pages du grand répertoire, pour les mesurer à l’aune de leurs confrères les plus prestigieux. L'Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise, phalange rare sous nos latitudes, donne ce soir deux des œuvres phares de la musique symphonique, le Concerto « Empereur » en mi bémol majeur pour piano Op.73 n°5 de Beethoven et la Symphonie en la mineur n°6 dite « Tragique » de Mahler.

Dans le plus célèbre des concerti pour piano beethovéniens, Hélène Grimaud était attendue et c’est Nicholas Angelich qui apparait devant le clavier du grand Steinway (monté sur scène par la trappe placée sous l’estrade du chef). Beethoven et son public n’ont rien perdu au change, bien au contraire, le taciturne poète pianiste franco-américain, tout en intériorité, remplaçant favorablement, sans doute au pied levé, l’affectée et peu nuancée soliste française. D’un toucher aérien exaltant des sonorités de braise, extraordinairement concentré et d’une aisance impressionnante, Angelich brosse un concerto onirique, dense et profond, donnant l’impulsion de son autorité naturelle à l’ensemble de l’architectonique de l’œuvre, imposant les tempi du mouvement lent, tandis que Daniel Harding s’efface devant l’assurance de son partenaire que jamais il ne couvre tout en tendant à faire de L’Empereur une symphonie concertante précurseur de Brahms.

En seconde partie, une partition qui, généralement, fait à elle seule l’objet d’un concert entier. C’est dire combien le programme proposé par la formation suédoise est copieux. Presque un siècle entier sépare le concerto de Beethoven (1809) et la Sixième de Mahler (1905), l’une des plus déchirantes et hallucinées du compositeur autrichien, celle qui, à l’instar des Kindertotenlieder, est la plus tristement prémonitoire de la biographie de son auteur, avec ses combats à couper le souffle, ses grands moments d’introspection douloureuse, ses plages d’espoir brutalement brisées par des drames menaçants, une angoisse qui atteint des sommets de déchirure avec les trois immenses coups du destin qui fracassent l’élan frénétique du funeste finale ; sans doute aussi la symphonie mahlérienne la plus porteuse d’avenir – l’on pense particulièrement à Alban Berg (l’interlude en ré mineur de Wozzeck, notamment, lui doit beaucoup).

Après un premier mouvement décousu, le chef ne maîtrisant pas pleinement le matériau thématique qui se multiplie à foison de façon éparse, la symphonie s'avère vertigineuse de tragique et de brio. Daniel Harding, que l’on attendait avec circonspection dans cette œuvre et qui sait s’y imposer, a choisi de placer le mouvement lent en deuxième position, Mahler ayant lui-même longtemps hésité à situer cet Andante moderato en deuxième ou troisième position, choix qui confirme combien le chef tient à souligner le drame intrinsèque à l’œuvre jusqu’en sa structure même. Les musiciens suédois font montre d’une ferveur et d’une virtuosité à toute épreuve, avec une mention spéciale à la corniste solo, Susan Sabin.

BS