Chroniques

par michèle tosi

stratégies de la fureur
trois œuvres de Magnus Lindberg

Cité de la musique, Paris
- 8 mars 2006
© hanya chlala

L’Orchestre du Conservatoire national supérieur de Paris étoffe l’effectif de l’Ensemble Intercontemporain pour un concert monographique consacré au compositeur finlandais Magnus Lindberg, dirigé par sa compatriote Susanna Mälkki, nommée tout récemment à la tête de la formation. Fort éclairant sur la personnalité de l’artiste, ce programme met en perspective deux manières du compositeur, si l’on en juge par le contraste d’esthétique entre les œuvres ici présentées.

Si la première partie propose des pièces plus récentes – Coyote Blues (1993) et Feria (1997) –, c’est indéniablement Kraft, l’œuvre de toutes les folies d’un jeune compositeur (Lindberg n’avait que vingt-sept ans) qui fait l’événement en faisant résonner haut et fort les murs de la Cité avec une puissance, une violence même, qui laisse le public sans voix. Pour ce déclenchement cataclysmique assisté par l’électronique (Kraft signifie force, en allemand), l’orchestre investit tout l’auditorium par un déplacement constant des instrumentistes, pour une spatialisation sonore et une surimpression des timbres qui favorise les mélanges hétérogènes et l’entrechoc sauvage des masses en présence. Pierre Strauch quitte parfois son violoncelle pour sonner du tam au centre de la salle alors que les cuivres, de part et d’autre, font converger les sources sonores pour créer des nœuds de tension extrêmes : « seul l’extrême est intéressant, dit l’auteur, un mode original d’expression ne peut être obtenu qu’à travers le marginal, l’hypercomplexe combiné avec le primitif ».

Si l’on pense à Stravinsky ébranlant les oreilles avec son Sacre du Printemps en 1913, c’est davantage Pulcinella que l’on évoquera à l’audition de Coyote Blues pour orchestre de chambre, une œuvre nouvelle manière, très assagie et revenue à la consonance – « des accords de caractère rustique », en dit Magnus Lindberg – et traversée de citations et d’inflexions mélodiques rappelant qu’elle repose entièrement sur un matériau vocal déguisé.

De plus grande envergure, Feria sollicite tout l’orchestre que Lindberg traite en tutti tonitruants, au point que l’on se demande si certains traits de cordes sont bien utiles tant les cuivres les outrepassent et les rendent inaudibles. Si l’effet reste saisissant, on ne retrouve pas dans cette coulée flamboyante l’imagination et les ressources d’une fureur plus architecturée, que sert magnifiquement l’EIC dans Kraft, que l’on espère retrouver à l’avenir sous la plume du compositeur finlandais.

MT