Chroniques

par laurent bergnach

solos croisés
Susanne Fröhlich et Petteri Pitko

Musica / Salle de la Bourse, Strasbourg
- 1er octobre 2010
Isabelle Meister photographie Susanne Fröhlich
© isabelle meister

Entre les solos percussifs entendus hier [lire notre chronique], et ceux, toujours signés Xenakis, pour le piano (Evryali, à R. (hommage à Ravel), Mists) et le violoncelle (Nomos Alpha), proposés demain, voici un récital atypique de par les instruments qu’il convoque : le clavecin du Finlandais Petteri Pitko d’un côté, la flûte Paetzold de l’Allemande Susanne Fröhlich de l’autre (photo). Conçue au milieu des années soixante-dix par le facteur de flûte suisse qui lui donnerait son nom, cette dernière s’avère un étonnant croisement entre savoir-faire (la flûte à bec) et innovation. Carré, d’un volume qui le rapproche plus du tuba que du piccolo, l’instrument possède une riche palette sonore qu’une nouvelle génération de compositeurs a décidé d’explorer.

On connaît l’intérêt de Fauto Romitelli (1963-2004) pour la nature du son ; dans Seascape (1994), l’Italien semble succomber à la musique à programme, avec ces échos marins, sirènes de bateau et autres vrombissements d’hydravion qui envahissent la salle. Plus vraisemblablement, on retrouve ici l’évolution biologique, des premières cellules aquatiques à la conquête des nuages (mugissement, couinement, cri d’oiseau exotique), jusqu’à cette respiration finale et apaisée qui pourrait bien être humaine. Elève de Clementi et Sciarrino, enseignant la musique électronique à Palerme, son compatriote Emanuele Casale (né en 1974) offre avec studio 2a (1999) déflagrations ouatées, claquements de langue, sons évoquant l’orgue de barbarie ou quelque flûte extra-européenne.

Tout au long de son entretien avec Antoine Gindt en mars dernier (cf. programme général Musica), Oscar Bianchi (né en 1975) paraît soucieux de forme, de puissance et d’imagination sonores – il cite en particulier Beethoven, Schubert et Stravinsky. Dans Crepuscolo (2004), une pièce qui « rend hommage à cette suspension de l’espace et du temps » qu’implique la spatialisation, le compositeur amplifie certains des sons présents chez Romitelli (sifflements, percussions, etc.) ; son œuvre charnelle et trépidante se déploie circulairement, quand celle de l’aîné, plus diaphane, suivait une seule direction. Le récital se clôt sur d’ultimes sons de la flûte à bec Paetzold, un instrument qu’il faudrait pouvoir entendre mêlé à d’autres, à l’instar de l’harmonium ou des ondes Martenot.

Pour terminer, évoquons l’unique duo de cette fin d’après-midi. Outre deux pièces pour clavecin de Ligeti – Chaconne de Hungarian Rock (1978), qui s’éteint sur des sons de guitare, et Continuum (1968), aux accents de mandoline –, et Drain (2000), épisode des Etudes de Jukka Tiensuu (né en 1948), nous entendons de ce dernier Veto (1997), extrait de Musica ambigua. Cette pièce de six minutes ne manque ni d’énergie ni d’humour, et il est fascinant de suivre comment son créateur utilise des instruments au parfum d’antan dans une course poursuite cartoonesque – une flûte à bec qui bondit et rebondit, ou au contraire se dégonfle, soupire jusqu’à tourner de l’œil, tandis que le claveciniste est convié à des vocalises inattendues, rappelant l’univers de Crumb.

LB