Chroniques

par laurent bergnach

Solaris
opéra de Dai Fujikura

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 5 mars 2015
Erik Nielsen joue Solaris (2015), un opéra de Dai Fujikura
© vincent pontet

On peut facilement réduire la science-fiction à deux thèmes principaux : l’expérience de laboratoire – par exemple The Fly, dont Howard Shore tira un opéra [lire notre chronique du 11 juillet 2008] – et le voyage dans l’espace. Grandement popularisé par un cinéma conscient de son potentiel visuel, ce dernier a fasciné des générations ravies de s’aventurer dans des contrées inconnues, puis plus sensibles aux introspections, sous l’influence de la contre-culture et des sciences humaines. Ainsi sont apparus des films tels Forbidden planet (1956), 2001 : a space odyssey (1968), Silent running (1972) ou encore Moon (2009) qui évoquent respectivement les pulsions destructrices de l’inconscient, les menaces de l’intelligence artificielle, la survie des végétaux et le clonage imposé.

Réflexion sur d’éventuels possibles, Solaris (1961) est d’abord un roman signé Stanisław Lem (1921-2006), adapté par les cinéastes Tarkovski (1972) et Soderbergh (2002), sous forme de série radiophonique (2007) ou pour la scène lyrique, à l’instar de l’Allemand Detlev Glanert au Bregenzer Festspiele (2012). Le postulat de départ est simple mais d’une grande richesse philosophique : en orbite autour de Solaris, une planète-océan douée d’intelligence, les scientifiques d’une station d'observation sont visités par des créatures en lien avec leur passé – pour Kelvin, sa femme suicidée dix ans plus tôt. Solaris est responsable mais le but en échappe aux humains : cette manipulation des souvenirs est-elle une tentative de contact maladroite ou, au contraire, une forme subtile de torture ?

Voilà un moment que l’ouvrage de Lem fascine Dai Fujikura (né en 1977), au point d’avoir écrit le diptyque Vast Ocean (2005) et K’s Ocean (2009) en y pensant. Conscient que l’immersion dans Solaris rend sensible des affects et des dimensions de la psyché qui n’auraient jamais pu paraître sur Terre, le compositeur conçoit quatre actes avec un souhait primordial : « que l’univers sonore de l’ensemble permette aux auditeurs de reconnaître quels instruments sont en train de jouer tout en ressentant qu’il y a dans chacun d’eux quelque chose de bizarre et de légèrement déplacé » (entretien avec Bastien Gallet).

Projet multidisciplinaire coproduit par les Opéras de Lausanne et de Lille, le Théâtre des Champs-Élysées, l’Ircam et l’Ensemble Intercontemporain – ici conduit par Erik Nielsen –, Solaris invite Ulf Langheinrich, concepteur des lumières et d’images 3D dispensables qui servent de prélude muet, ainsi que Saburo Teshigawara, en charge des mise en scène, chorégraphie, décors et costumes. Il est aussi l’auteur du livret japonais que Fujikura a traduit en anglais, cause principale de l’ennui ressenti en ce soir de création, malgré le chant fervent et solide d’artistes rompus à l’art d’aujourd’hui – Sarah Tynan (Hari), Leigh Melrose (Kelvin), Callum Thorpe (Gibarian) et Tom Randle (Snaut) [lire notre critique du DVD Brokeback Mountain].

En effet, étouffant la musique par trop de bavardages, ce texte s’avère lourd de termes inutiles livrés en bout de course (neutrino, « mimoïde »), d’une voix intérieure encombrante sinon mièvre – Marcus Farnsworth en coulisse, dont les interventions sont traitées par l’électronique – et surtout d’échanges amoureux qui tournent en rond, avec leurs jérémiades contradictoires (cf. Hari : « Je ne suis pas désirée. Tu ne m’aimes pas, n’est-ce pas ? Mais pourquoi ? […] Tu m’aimes ? J’aimerais mieux que tu me frappes ! »). Double de chanteurs statiques, les danseurs omniprésents – Rihoko Sato, Václav Kuneš et Nicolas Le Riche – crient sans cesse qu’un ballet aurait mieux rendu justice à l’amour de Fujikura pour Lem.

LB