Chroniques

par bertrand bolognesi

soixante ans de Jacques Lenot

Église Saint-Étienne-du-Mont, Paris
- 17 novembre 2005
bon anniversaire, Jacques Lenot !
© charles dolfi-michels

C'est à Saint-Jean d'Angély, à une soixantaine de kilomètres de l'Atlantique, que Jacques Lenot naquit en 1945. Élève rebelle d'un professeur de piano installé dans sa ville natale, il deviendrait ce compositeur autodidacte de vingt-deux ans, maniant les portées depuis l'âge de huit, dont Olivier Messiaen fera jouer Diaphanéis, en avril 1967 au Festival de Royan, par Maurice Leroux à la tête de l'Orchestre National de l'ORTF. Suivront les Barbelés intérieurs pour deux pianos et ensemble, créés par Diego Masson et Musique Vivante (1968). Puis se développe un grand œuvre pour divers effectifs chambristes, sans doute le genre le plus important dans le catalogue de Lenot, qui n'exclut cependant pas des pièces d'orchestre et plusieurs essais d'opéra, dont J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne, d'après Jean-Luc Lagarce, que le Grand Théâtre de Genève créera en janvier.

L’Eglise Saint-Étienne-du-Mont accueille la troisième saison de concerts organisée par Florent Gaume, à la tête du label discographique Intrada. Ayant déjà publié deux CD entièrement consacrés à son œuvre, et s'apprêtant à poursuivre une intégrale de sa musique pour piano seul, c'est assez naturellement qu'il célèbre le soixantième anniversaire de Jacques Lenot dont plusieurs pièces sont ici jouées pour la première fois en public. Précisons que le compositeur connaît une sorte de fièvre d'écriture, produisant de nombreux opus, ces dernières années, une créativité favorisée par la rencontre de nouveaux interprètes. Après plusieurs recueils destinés à l'orgue (Deux pièces, Sept esquisses, Onze fantaisies, Livres des Dédicaces et les trois Livres d'orgue), Lenot écrivait en 2004 Mon royaume n'est pas de ce monde, s'inspirant de l'Évangile de Jean. Une élévation quasi chorale, juxtaposant un chemin d'accords crescendo solidement soutenus dans le grave, dans une sonorité d'abord veloutée, s'enrichit peu à peu de couleurs plus froides, jusqu'à faire naître une section errante dans l'aigre-doux de l'aigu. Tout cela s'achève par un retour au caractère initial, usant d'un alliage flamboyant de registres, couronnant l'interprétation brillante deVincent Warnier.

Née il y a tout juste deux ans, Tormentoso a été enregistrée par Nicolas Baldeyrou auquel il est dédié. Ce soir, le jeune clarinettiste de l'Orchestre National de France parvient à une sorte de dialogue au sein de la pièce, par un jeu de dynamique et d'attaques d'une souplesse surprenante. Indéniablement, Lenot est amoureux de la virtuosité ! Un an plus tôt (2002), il écrivait un Omaggio a Donatoni, soit un trio que Magali Mosnier à la flûte, Jean-Marc Phillips-Varjabedian au violon et Sarah Veilhan au violoncelle offrent dans une fluidité d'articulation d'autant soulignée par l'acoustique particulière du lieu.

On retrouve la flûtiste dans une sorte de danse brève, un glissement dans une vague perpétuelle dont la densité se modifie, évolue au fil du discours : Light Observation Field, écrite l'an dernier, qui introduit les deux moments clé de ce concert que seront les pièces pour piano et le Quatuor à cordes n°2. Il faut se représenter Lenot travaillant à un Concerto pour piano n°3 lorsqu'un ami lui téléphone et lui conseille de regarder la télévision ; ça ne l'intéresse évidemment pas, il renâcle, mais l'interlocuteur insiste… Chose faite, il voit les Twin Towers s'effondrer ; nous sommes le 11 septembre 2001. Abandonnant l'œuvre en cours, il s'atèle à un nouveau quatuor en quatre mouvements. Ce soir, le Quatuor Rosamonde amorce Retenu dans une douceur infinie où les pizz' viennent douloureusement rehausser un paysage triste. On saluera l'interprétation des quartettistes, partant qu'il n'est pas facile de nourrir un discours étendu aux effets toujours pudiques, tout juste le cheminement d'appels dans la trame, rien de plus. L'échange d'harmoniques de la fin de ce premier mouvement s'avère subtilement réalisé. Furtif laisse peu à peu surgir un lyrisme fiévreux qui contraste avec la déclinaison de demi-teintes dont notre oreille vient de prendre congé. Tandis que Voilé avance vers un cri commun aux quatre instruments, Ardent décuple l'effervescence de Furtif dans une rage terrible.

Winston Choi gagne le piano pour Cité de la nuit, une œuvre composée en 1981, lorsque Jacques Lenot vivait non loin de l'aéroport de Rome, et qu'il révisa cette année. Dès l'abord, le jeune pianiste canadien y trace son propre chemin, ciselant son interprétation d'un relief sculptural. On reste estomaqué par un travail de couleurs dont l'acoustique d'une église pourrait rendre la perception difficile – et pourtant ! Suivront Fantasque (Étude n°5, 1986) et L'Esprit de solitude (2004), Winston Choi traduisant la stupéfiante liquidité de l'un pour mieux s'engager dans la houle de l'autre, parvenant à chanter, danser et même peindre une partition qu'il aborde avec un naturel confondant. Bref : un bel anniversaire, monsieur Lenot !

BB