Chroniques

par bertrand bolognesi

soirée russe de l'Ensemble Intercontemporain

Cité de la musique, Paris
- 8 décembre 2003
© sheila rock

À la fin de l’année 1922, Igor Stravinsky commence la rédaction d’un Octuor, sans avoir décidé au préalable quels en seraient les protagonistes instrumentaux. Il se lance dans une de ses partitions les plus parfaites... sur le papier. Comprenant trois mouvements, l’œuvre semble vouloir rendre un hommage servile aux symphonies de Haydn, et se réfère sans cesse à l’élégance de leurs procédés. Le résultat est un petit bijou formel pour vents qui n’est pas du meilleur Stravinsky, il faut bien l’avouer. C’est avec cette page que l’Ensemble Intercontemporain ouvre le concert, un concert exclusivement russe qui fait la part belle au vieil Igor. Vladimir Jurowski en donne une lecture à la sonorité un peu sourde, fort équilibrée, mais antagoniste avec les prescriptions du compositeur lui-même quant aux contrastes. Peu de relief, pas de dynamique, une absence déconcertante de nuances, autant de traits qui accentuent le néo-classicisme de l’Octuor.

Les cordes de l’EIC se réunissent ensuite en octuor pour les Deux pièces Op.11 écrites par un Chostakovitch de dix-neuf ans. Le Prélude bénéficie d’une interprétation recueillie seyant parfaitement à sa gravité, dans une délicate précarité de la vibration, plutôt bienvenue, tandis que puissamment le Scherzo s’enflamme ; mais, là encore, peu de relief. La pâte est indéniablement bien prise, mais la saveur peu travaillée.

Donnée en création mondiale, Feux follets pour ensemble est une commande au compositeur d’origine ukrainienne Vladimir Tarnopolski. Né il y a quarante-huit ans à Dniepropetrovsk, il étudia auprès de Sidelnikov, Cholopov et Denissov au Conservatoire de Moscou où il enseigne lui-même depuis dix ans. Volontiers organisateur, il fondait en 1994 le festival Forum dans la capitale russe. La pièce jouée ce soir fonctionne en superposition de plusieurs strates métriques avec des motifs effervescents dont un trait polyphonique, rythmique ou timbrique, vient faire évoluer le cycle pour amener un nouveau développement possible. Un lent crescendo progressif se construit sur les interventions des percussions avec des appels de cuivres de plus en plus criants jusqu’à l’ultime exultation en un chaos instrumental des plus lyriques. Dans ces Feux follets, Jurowski a pris grand soin de la nuance et offert une exécution fort expressive.

La deuxième partie accueille Accentus pour deux œuvres de Stravinsky : Les soucoupes et Noces. Le première fut écrite en 1917 ; il s’agit de quatre mélodies proches de celles que pouvaient chanter les paysans lorsque les diseuses de bonne aventure enfumaient une soucoupe à l’aide d’une bougie afin d’interpréter le destin dans les empreintes déposées. L’exécution de cette pièce à l’esprit plus populaire que l’Octuor est une idéale introduction à l’univers des Noces sur lesquelles Stravinsky travailla dès 1914 et qui ne furent achevées qu’en 1923, après que l’auteur ait censuré une première version rutilante en 1917. C’est à Kiev que vint l’idée de mettre en musique les récits d’une journée de noces dans une Russie rêvé par une nostalgie panslave. En talentueux habitué des fosses d’opéra, Vladimir Jurowski dirige une version idéalement théâtrale, avec une distribution entièrement russe.

Si le ténor Viacheslav Voynarovski est désavantagé par un timbre acide, souvent nasalisé à outrance, il sert assez justement son texte. La basse Maxime Mikhaïlov s’avère plus probante, tandis qu’Irina Doljenko, mezzo-soprano parfois engorgée, livre de beaux moments. On apprécie la prestation du soprano Olga Schalaeva, un peu timide au début, puis de plus en plus affirmée.

BB