Chroniques

par bertrand bolognesi

Sixième et Treizième symphonies de Chostakovitch
Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Iouri Temirkanov

Théâtre du Châtelet, Paris
- 29 mars 2003
© dr

Après la résidence de Valery Gergiev et l'équipe du Théâtre Mariinski, le Théâtre musical de Paris clôt sa semaine avec l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg qui propose deux programmes russes.

Après les vicissitudes des régimes successifs de son pays, née dans une capitale devenue par la suite grande ville d'art et de culture de province, débaptisée Orchestre Philharmonique de Leningrad pour soixante-dix ans avant de retrouver son premier nom en 1991, la prestigieuse formation connut de très grands chefs et, principalement, l'immense Evgueni Mravinski qui, pendant près d’un demi-siècle, l'aida à construire un son à elle, reconnaissable, qui par le passé nous parvint grâce au label soviétique Мелодия et ses magnifiques enregistrements. Depuis 1988, Iouri Temirkanov, chef au charisme évident et au style personnel, a succédé au vieux maître, un des jeunes arrivés avec la Perestroïka. À travers des tournées régulières en dehors de Russie et de nombreux enregistrements, l'orchestre et son patron acquièrent une belle réputation. On se souvient par exemple du médusant Alexandre Nevski gravé il y a quelques années pour BMG, encore aujourd'hui le seul à présenter La glace se brise (quatorzième mouvement) en un terrifiant craquement.

Le premier des rendez-vous consiste en deux symphonies de Dimitri Chostakovitch. À commencer par la Symphonie en si mineur Op.54 n°6, décriée en son temps, dont le lourd Largo introductif plonge l'assistance dans une écoute concentrée et émue. Temirkanov décline une savante grammaire sonore aux contrastes parfois étonnants, toujours dans sa dynamique particulière, avançant comme un fleuve.

La pièce maîtresse de la soirée, c’est la sulfureuse Treizième, sur des poèmes du subversif Evgueni Evtouchenko. L'œuvre rencontra les craintes des artistes terrifiés par le pouvoir, si bien que la basse pressentie pour sa création renonça, celle qui en prépara le concert se déclara souffrante dès la générale, pour que finalement sa doublure, Vitali Gromadski, assumât la première avec succès. Même Mravinski, ami du compositeur depuis plus de vingt ans, s'inventa de diplomatiques empêchements qui ne tenaient guère debout. Ce fut donc à Kirill Kondrachine qu'il revînt de diriger la création. Nous étions en 1962. Les crimes de Staline avaient été dénoncés, et pourtant... Était-elle si loin qu'on aimait à croire, la terrible époque de Jdanov, celle d'une censure toute puissante qui avait pressuré Prokofiev, Mossolov et Chostakovitch lui-même ?

En 1941, les troupes allemandes tuent quelques dizaines de milliers d'Ukrainiens à Babi-Yar, un ravin près de Kiev. La Symphonie en si bémol mineur Op.113 n°13 pour basse, chœur de basses et orchestre porte ce nom en sous-titre. Elle évoque ce triste épisode de l'histoire russe dans son premier mouvement, puis la sublime irrévérence du sourire du philosophe dans L'humour, l'immense courage des femmes souffrantes et combatives avec Dans un magasin, les interrogations de l'artiste quant à l'utilité et la liberté de son expression sur Angoisses, l'opportunisme au pouvoir avec Carriérisme – en tout cinq sections qui sollicitent sans repos un baryton en pleine forme, ici assumé à la perfection par Sergueï Leiferkus avec un réel engagement et une saisissante expressivité qui ne se ménagent pas. Il joue sur des sonorités plus nasales dans les phrases sarcastiques et tout à fait dignes pour les parties recueillies. L'intervention d'un artiste d'une telle sensibilité rend l'œuvre plus proche. Iouri Tchernouchenko a préparé le Chœur de Radio France qui se produit aux côtés des musiciens russes qu’il retrouvera demain après-midi. Nous aussi !

BB