Chroniques

par bruno serrou

six Sequenze de Luciano Berio
par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain

Centre Pompidou, Paris
- 3 décembre 2010
Sequenze de Luciano Berio par les solstes de l'ensemble intercontemporain
© eric marinitsch

L’on doit à l’Ensemble Intercontemporain la première intégrale discographique des Sequenze que Luciano Berio composa entre 1958 et 2002/2003, à l’exception de la dernière, qui n’était pas encore écrite lors de la parution du coffret de 3CD en 1999 sous étiquette Deutsche Gramophon. Certaines d’entre elles furent écrites pour l’un des membres de l’ensemble avec lequel le compositeur italien entretenait des relations privilégiées. Il est donc toujours instructif d’écouter ces pages, d’une difficulté époustouflante alliée à une musicalité transcendante, jouées par les solistes de l’Intercontemporain.

Ce vendredi, devant une salle comble et polyglotte, comme de coutume, six musiciens ont proposé la Sequenza dédiée à son instrument, chacune étant précédée d’un texte introductif italien du poète Edoardo Sanguineti (1930-2010) qui l’enregistra. A travers ce corpus, Berio expérimentait des modes de jeu souvent inédits au moment de leur genèse qui ont fait reculer les limites de la virtuosité et de la musicalité instrumentales, tandis que la structure des œuvres se présente sous la forme de séries de ruptures, comme le laisse entendre le titre séquences qui renvoie aux séquences de champs harmoniques, chacune des partitions étant composée en fonction - et souvent avec la participation - de son commanditaire et dédicataire.

Dans le cadre des cours d’été de Darmstadt où il enseignait alors, Berio conçut en 1958 la Sequenza I pour le flûtiste italien Severino Gazzelloni. Emmanuelle Ophèle en donne une interprétation d’une grande facilité de jeu et de ton, exaltant l’écriture étonnamment polyphonique dont le compositeur a fait usage pour cet instrument d’essence monodique, exploitant «les codes de l’époque baroque qui permettaient d’écrire une fugue à deux voix pour une flûte solo» (Berio). Déception, en revanche, dans la Sequenza VIII pour violon jouée par un Diego Tosi certes virtuose mais si détaché qu’une certaine monotonie s'est très vite immiscée. Composée en 1976, créée au Festival de Royan par Carlo Chiapara, qui en est le dédicataire, cette partition se fonde sur deux notes, la et si, que le jeune violoniste souligne trop systématiquement, aux dépends de la référence au jeu et aux élans de la Partita en ré mineur de Johann Sebastian Bach.

Comme de coutume, Frédérique Cambreling brille par le bruissement aérien de son toucher dans la Sequenza II pour harpe, dédiée en 1962 à Francis Pierre, son créateur, tout comme Alain Damiens dans la Sequenza IXa pour clarinette (la Sequenza IXb est pour saxophone alto), composée et créée en 1980 au Musée d’Orsay par Michel Arrignon - la plus boulézienne des Sequenze. En revanche, Benny Sluchin, s’il exécute avec une sereine aisance la Sequenza V pour trombone de 1966, ne parvient pas à restituer l’humour farceur de la pièce que l’auteur a dédiée au célèbre clown musicien suisse Grock (1880-1959). Enfin, Pierre Strauch brosse une somptueuse Sequenza XIV pour violoncelle, interprétée avec un naturel remarquable, rendant à cette ultime pièce du genre - créée le 28 avril 2002 par son dédicataire, le Sri Lankais Rohan de Saram (ex-violoncelliste du Quatuor Arditti) et révisée en 2003 - toute la vivacité rythmique, dynamique et timbrique d’une variété et d’une virtuosité évanescente.

BS