Chroniques

par marc develey

Simon Rattle dirige l’Orchestra of the Age of Enlightenment
Pierre-Laurent Aimard joue le Concerto pour la main gauche

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 4 juin 2012
Simon Rattle dirige l’Orchestra of the Age of Enlightenment
© mat hennek

Le programme de ce soir s’ouvre sur la Suite de Pelléas et Mélisande Op.80 que Gabriel Fauré tira en 1900 d’une musique de scène pour la pièce éponyme jouée à Londres en 1898, qu’il avait antérieurement composée et fait orchestrer par Charles Kœchlin, alors son élève. Évocateur de Mélisande, le Prélude déplie un amble charnu, dans le son très tiré des cordes. Quelques imprécisions aux vents en troublent d’accents rudes l’indéniable tendresse, perfection atteinte dans le délicieux diminuendo final. Une Fileuse indolente sur les violons liquides grimace souvent sous les aigreurs du hautbois, tandis que, plus résolue, la Sicilienne est portée à belle élégance par les flûtes dans le balancement, certes parfois répétitif, des cordes. Dolente, La Mort de Mélisande clôt le cycle ; si les cuivres s’y montrent localement âpres, la réserve de son ménagée par Simon Rattle – qui saura, le concert durant, modeler la dynamique à la mesure de l’orchestre – fait de cette marche funèbre un moment tout à fait poignant.

Le Concerto en ré mineur pour la main gauche de Maurice Ravel s’installe d’emblée dans un son fort rond, presque straussien. Le tempérament post-romantisant de l’orchestre célèbre en l’Andante un dialogue avec la grande diction plus détourée de Pierre-Laurent Aimard au piano. Les graves sont résolues et les dialogues de la main gauche avec elle-même électrisent. Le hautbois, lui, hésite entre mystère et présure. Plus joueur, l’Allegro déplie ses rythmes « jazzés » à la limite de ce que l’orchestre semble pouvoir suivre, mais le lyrisme clair du Finale referme l’œuvre dans une grande énergie et emporte la conviction.

Des pas sur la neige, sixième des Préludes (Livre I) de Claude Debussy, est offert en bis par le pianiste – triste et lent climat de gondole lisztienne, mais sans brume ni énigme, posée, magistrale, sur les accents de l’ostinato comme sur la désolation d’une lumière trop blanche.

La seconde partie, consacrée toute à Debussy, s’ouvre sur le Prélude à l’après-midi d’un faune. L’Orchestra of the Age of Enlightenment y trouve la possibilité de déployer un nuancier plus riche, depuis l’annonce très droite, sans aucun vibrato, de la flûte solo, jusqu’au vibré langoureux des cordes. Ce faune est d’abord un Puck alangui, trouvant rapidement plus de corps sous l’entrée des clarinettes. Le hautbois est égal à lui-même. Brutalité centrale du désir et apaisement final dans la rémanence des flûtes et pizzicati réjouissent.

Quintes délicieuses de fraîcheur, enfin, en ouverture des Trois esquisses symphoniques qui composent La mer. De l’aube à midi sur la mer offre un paysage mouvant d’une étonnante fluidité, depuis les huiles initiales jusqu’au final quasi cinématographique accédant crescendo à un fortissimo somptueux. Les Jeux de vagues font danser les embruns dans le modelé des eaux chaotiques et heureuses, pour s’en aller, pacifiés, au silence dans un délice de harpes. Plus rageur et inquiétant, le Dialogue du vent et de la mer dépeint une houle asthmatique et paradoxalement vigoureuse, traversé de déferlantes dans une belle diversité de climats, qu’arrête enfin la très rageuse et nette explosante finale.

Après cette belle page, l’orchestre et le chef prennent congé par une transcription pour orchestre de la première Gymnopédie d’Erik Satie (renumérotée 3 par Debussy), sans éclat particulier mais non sans charme.

MD